Crise du COVID : les syndicats toujours divisés (Les Clés du Social – 25-07-20)

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Crise du COVID : les syndicats toujours divisés (Les Clés du Social – 25-07-20)

Face à une crise de cette ampleur et son caractère exceptionnel, on aurait pu attendre des organisations syndicales une attitude commune pour à la fois assurer la sécurité maximale des salariés et prévenir les risques sociaux qu’une telle situation allait provoquer. Il n’en a rien été.

Deux logiques se sont une nouvelle fois affrontées. D’un côté les réformistes qui, tout en étant fermes sur les questions de sécurité des salariés, ont très clairement négocié les conditions de la nécessaire reprise de l’activité. Deux organisations avec des nuances ont rejoint au moins provisoirement le camp des réformistes même si elles ne veulent pas le dire trop fort : la CFE-CGC et plus encore FO. De l’autre, les contestataires qui, avec des nuances sensibles suivant les organisations, sont restés sur une attitude défensive, très réticents, voire plus, à l’idée d’un redémarrage de l’économie tant que le virus circule.

Attitudes différentes des organisations mais aussi un point commun entre elles : toutes ont diffusé de nombreuses informations à leurs équipes ou au grand public par l’intermédiaire de leurs sites à la fois sur les différents textes réglementaires et leurs positionnements au fil de la crise.

1/ Les contestataires sur la défensive

La CGT

Commençons d’abord par la CGT dont l’attitude durant cette période n’a cessé d’interroger les observateurs et même probablement nombre de militants CGT de terrain. Rompant avec une tradition productiviste, où la valeur du travail de l’ouvrier producteur de richesse est érigée en principe fondateur, la CGT a défendu l’idée que seules les activités essentielles à l’activité du pays (santé, alimentation, énergie) devaient fonctionner. Ainsi, elle a prôné un confinement total. Dans un communiqué du 8 avril, elle déclare :

« L’objectif unique et immédiat devrait être la lutte pour la santé des citoyens.nes. La production devrait avoir pour seule visée de produire les biens et services nécessaires à la réponse aux besoins pendant la gestion de la crise sanitaire ».

Dans le même état d’esprit, elle a poussé les salariés à utiliser leur droit de retrait quand ils estimaient que les conditions de sûreté n’étaient pas garanties. Et cela, parfois au mépris de la réalité des mesures prises par les entreprises et même là où le dialogue social avait fonctionné comme chez Renault à Sandouville. La CGT Services publics est allée jusqu’au dépôt d’un préavis de grève dès le mois de mars et les mois suivants. Curieuse façon de défendre le service public dans un moment où il est d’autant plus utile. Appels à la grève évidemment et heureusement peu suivis. Citons encore la tentative de blocage de la plateforme pharmaceutique de Feyzin où sont fabriqués des composants essentiels à des produits pharmaceutiques comme le gel hydroalcoolique, par exemple.

Face à ses éléments les plus radicaux, la direction de la CGT peine manifestement à faire valoir une attitude plus responsable. Les militants de la chimie, du commerce, ou encore de l’UD du Rhône ou du Val de Marne qui forment l’essentiel des opposants à Philippe Martinez contestent la ligne confédérale jugée trop modérée dans la période. De fait, l’expression confédérale a été paralysée, rendant impossible toute déclaration commune avec les organisations syndicales réformistes. Alors que se prépare la succession de Philippe Martinez, la CGT donne le sentiment d’un bateau sans capitaine où chacun fait ce qu’il veut. Ce qui donne pièce à toutes les dérives radicales. Jusqu’où les divisions internes, la radicalité ambiante entraineront-elles cette organisation ?

La FSU

Fidèle à la ligne adoptée depuis sa création au début des années 90, la FSU a continué à participer aux actions de l’intersyndicale CGT, FSU, Solidaires, UNEF et organisations lycéennes. Elle s’est, par ailleurs, particulièrement impliquée dans le collectif « plus jamais ça » composé de syndicats dont la CGT et Solidaires et d’associations très marquées à gauche dont ATTAC, Oxfam, le DAL, etc…

Toutefois, sur le plan revendicatif, elle s’est essentiellement repliée sur son champ d’action traditionnel : la fonction publique et plus particulièrement l’Éducation nationale où elle occupe la première place. Elle tient dans ce cadre un discours plus pragmatique. Ainsi, si elle s’est affichée très réservée sur la date du déconfinement le 11 mai, elle s’est gardée d’en contester le principe. Elle a exprimé avec les autres grandes organisations de l’Éducation des réserves sur les modalités d’application et les incohérences entre les protocoles réalisées par le ministère et leur application sur le terrain.

Solidaires

Preuve que dans une telle période de crise les discours radicaux et généraux sont inopérants, Solidaires n’a pas réellement été entendue. Compte-tenu de la diversité de cette organisation, elle n’a pu être visible qu’aux seuls endroits où elle est suffisamment représentative. Pour le reste elle continue d’apparaître sans réellement peser dans les communiqués et les appels communs de la CGT, la FSU et les organisations lycéennes et étudiantes. Une nouveauté toutefois, probablement parce qu’il recevait l’UNSA, le nouveau Premier ministre Jean Castex a reçu une délégation de Solidaires dans le cadre de ses consultations avec les organisations syndicales.

2/ Les entre-deux

Force Ouvrière

Peut-on encore classer Force Ouvrière parmi les organisations contestataires à la lumière de ses réactions durant la crise ? Yves Veyrier, pourtant à la tête d’une organisation divisée entre réformistes et radicaux, est arrivé à la fois à tenir un discours plutôt responsable et pondéré durant la crise, renouant avec l’attitude affichée par son prédécesseur Jean-Claude Mailly à la fin de son mandat. Même si FO, pour satisfaire ses éléments trotskistes, a signé plusieurs déclarations communes avec la CGT, la FSU, Solidaires, Yves Veyrier s’est bien gardé d’en rajouter. Contrairement à la CGT, il n’a remis en cause ni la portée du confinement ni la logique du déconfinement et a compris la nécessité du redémarrage économique. Cela ne l’a pas empêché d’afficher ses exigences en matière de sécurité sanitaire à l’instar de la CFDT, la CFTC ou l’UNSA. On peut juste regretter que FO ne se soit pas associée au courrier commun des partenaires sociaux au Président de la République du 23 juin. Probablement pour ne pas susciter des réactions négatives en interne mais aussi à cause de la référence du texte à la contribution à l’intérêt général des partenaires sociaux, ce que FO conteste depuis toujours sur le plan idéologique.

En tous cas, les fédérations réformistes de FO ont accueilli avec satisfaction ce nouveau positionnement, alors qu’elles réclamaient « le retour à un syndicalisme de résultat ». La récente signature par la fédération Santé de l’accord issu du Ségur de la santé semble confirmer le recentrage de l’organisation. L’arrivée attendue dans les sphères du pouvoir de Jean-Claude Mailly peut-elle avoir influencé le retour à plus de réalisme de FO ? La question reste de savoir comment tout cela passera en interne dans une organisation encore traumatisée par ses dernières années de division.

La CFE-CGC

À la fois contestataire et réformiste, souvent peu lisible dans ses interventions, la CFE-CGC fait figure d’organisation à part dans le monde syndical. Cela est probablement dû à la personnalité de son président, François Hommeril, pratiquant souvent l’invective et les déclarations à l’emporte-pièce. Signe d’une possible évolution, la CFE-CGC a signé le courrier commun des partenaires sociaux au Président de la République. Il n’en reste pas moins que la CGC continue de progresser aux élections professionnelles dans de nombreux secteurs. Il est vrai que la confédération pèse peu face à des fédérations toutes puissantes qui pratiquent un syndicalisme plus consensuel et pragmatique dans les entreprises.

3/ Les réformistes assumés qui ont pesé dans les débats malgré un gouvernement peu à l’écoute

La CFDT

La CFDT a été de nouveau très présente durant toute la période à la fois au niveau national interprofessionnel mais aussi dans les branches, les territoires et les entreprises. Par ses déclarations entre « coups de gueule » et satisfecit, Laurent Berger a souvent pesé sur les décisions du gouvernement dans deux directions : assurer la sécurité maximum des salariés face au risque de contracter la maladie et mettre l’emploi au cœur des préoccupations du gouvernement et du patronat. Ainsi, la CFDT a largement contribué à la mise en œuvre du chômage partiel pour sauvegarder les emplois durant le confinement et dans la même optique a pesé pour que le dispositif évolue dans la durée. Elle a aussi agi en faveur d’une politique en direction de la jeunesse notamment au travers du recours aux contrats aidés. Sur le plan sanitaire, au niveau des branches professionnelles, la CFDT s’est particulièrement impliquée et engagée dans la définition des protocoles sanitaires parfois même seule en tant qu’organisation syndicale comme le bâtiment par exemple.

Après avoir signé avec la CFTC et le Medef une déclaration le 30 avril appelant à la reprise de l’activité tout en assurant la sécurité des salariés, la CFDT a signé le courrier commun des partenaires sociaux au Président de la République du 23 juin.

Laurent Berger a souvent dénoncé et regretté l’absence d’écoute de la part du gouvernement Philippe notamment dans la mise en œuvre des ordonnances liées à l’état d’urgence sanitaire. Elle attend, comme les autres organisations d’ailleurs, des actes de la part du nouveau Premier ministre, Jean Castex, au regard de ses déclarations et ses premières actions. Le report de la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage et des discussions sur les retraites a ainsi été accueilli favorablement.

Dans les territoires, au niveau local ou régional, la CFDT a été active pour lier dans le cadre de la sortie de crise sécurité des salariés, développement économique et transition écologique. Elle est, sur le terrain, l’acteur central du Pacte du Pouvoir de Vivre qui regroupe aujourd’hui plus de 55 organisations sur le territoire national.
Sa présence dans de nombreuses entreprises a été un gage du retour à l’activité relativement serein des salariés.

La CFTC

Cyril Chabanier, le nouveau et jeune président de la CFTC souffre toujours d’un déficit de notoriété et peine à se faire reconnaître comme leader d’une organisation représentative. À son niveau et compte-tenu de ses forces, la CFTC a pourtant « fait le job » auprès de ses militants et dans ses relations avec les pouvoirs publics et le patronat. Elle s’est courageusement associée à la CFDT dans une déclaration commune avec le Medef, le 30 avril, pour appeler à la reprise du travail tout en assurant la sécurité des salariés. Comme la CFDT, la CFE-CGC et l’UNSA et les organisations patronales elle a signé le courrier commun au Président de la République, le 23 juin, s’engageant à faire des propositions communes des partenaires sociaux pour sortir de la crise.

L’UNSA

Laurent Lescure, lui aussi nouveau responsable de l’UNSA, a su mieux tirer parti de la période. L’UNSA a aussi fait le job vis-à-vis de ses troupes et ses interlocuteurs. Elle a mis en œuvre sa stratégie qui consiste à tenter de se faire reconnaître comme organisation représentative pour toutes les questions qui concernent les salariés en s’appuyant sur les résultats électoraux dans le secteurs privé et public où elle a obtenu 7,2 % des suffrages exprimés. Elle a insisté sur ce point au cours des entretiens avec le nouveau Premier ministre. Elle a aussi réussi à se faire inviter par l’État mais aussi le patronat à différentes réunions. On la trouve ainsi signataire du courrier du 23 juin avec le patronat, la CFTC, la CFE-CGC et la CFDT.

En conclusion, les divisions et l’absence de stratégie commune des grandes organisations syndicales, malgré des contacts entre leurs responsables, sont un frein à l’action syndicale. Peut-on espérer des évolutions alors qu’au-delà des différences elles partagent des préoccupations communes sur l’emploi d’abord, mais aussi la lutte contre les inégalités, les discriminations et la place des services publics dans notre société. À ce titre, le retour de FO vers une stratégie plus réformiste pourrait être, s’il se confirmait, une bonne nouvelle pour le syndicalisme, le dialogue social et les salariés de notre pays.


Sources

  • Les différents sites des organisations et la presse