Laurent Berger, boussole ou recours de la gauche

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Suite à l’annonce du départ de Laurent Berger de la CFDT, le quotidien La Dépêche du Midi a publié un article sur le leader cédétiste.

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En annonçant son départ de la tête de la CFDT Laurent Berger le 21 juin prochain, Laurent Berger a créé la surprise et suscité un espoir à gauche. S’il dément catégoriquement vouloir entrer en politique et viser la présidentielle de 2017, il incarne aujourd’hui le seul dénominateur commun d’une gauche éclatée. En sera-t-il la boussole ou le recours ?

Il a beau le dire sur tous les tons, matin midi et soir. Dans les interviews à la presse écrite, dans les matinales radios, sur les plateaux des JT ou en duplex de la tête de cortège des manifestations contre la réforme des retraites, rien n’y fait. Depuis des mois, Laurent Berger est contraint de dire, parfois avec un brin de lassitude dans le regard et dans la voix, qu’il n’a pas d’ambitions politiques, qu’il n’envisage pas d’entrer en politique après son mandat à la tête de la CFDT qu’il occupe depuis 2012, et qu’évidemment il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle de 2027.

Le divorce Macron-Berger

Mais qu’importe, ce potentiel destin politique lui colle à la peau comme le sparadrap du capitaine Haddock. Du côté de l’exécutif, on est ainsi persuadé que Laurent Berger franchira tôt ou tard ce Rubicon, et on estime même que le leader de la CFDT est déjà sorti de son rôle de syndicaliste durant le conflit des retraites en adoptant des points de vue politiques, par exemple lorsqu’il a parlé de « vice démocratique » en évoquant le recours à l’article 49.3 pour faire adopter la réforme, ou lorsqu’il estime qu’il y a une « crise démocratique » depuis.

En devenant la clef de voûte de l’intersyndicale, en restant inflexible dans son opposition au report de l’âge légal à 64 ans, Laurent Berger est devenu non plus un partenaire social mais un adversaire. Les ténors de la Macronie l’accusent de duplicité, de s’être gauchisé et radicalisé. Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, osera même « Le connaissant un peu, je pense qu’il n’est pas, au fond, d’accord lui-même avec ce qu’il dit. » Quant à Emmanuel Macron, il n’a eu de cesse de cibler à de nombreuses reprises celui qui aurait pu être un partenaire naturel, installant l’idée d’un duel que le leader de la CFDT n’a jamais compris et qu’il a toujours réfuté avec un calme olympien face aux oukases jupitériens.

En annonçant mercredi dans une longue interview au Monde son prochain départ de la tête du syndicat, qu’il a amené à être le premier de France, Laurent Berger a dès lors relancé les spéculations sur son avenir. « Non, je ne serai pas candidat en 2027. Je ne sais plus comment il faut le dire. Je ne m’engagerai pas en politique », martèle-t-il, précisant toutefois « Est-ce que je continuerai à faire de la politique, c’est-à-dire participer à la vie de la cité ? Oui. Si certains croient que je vais me taire, c’est une erreur. Je poursuivrai ma vie de militant, je m’engagerai encore – pour la justice sociale, la transition écologique et les droits humains. Je vais rester un militant européen et un militant pour la démocratie. Je me battrai jusqu’au bout pour éviter le drame de l’extrême droite. Mais je ne ferai pas de politique, au sens où on l’entend trop souvent. »

Saisir l’élan

Des mots pesés au trébuchet qui font aujourd’hui de Laurent Berger une boussole pour une gauche réformiste éclatée et affaiblie, et peut-être demain, ne lui en déplaise, un recours. Les Français d’ailleurs ont considéré dans plusieurs sondages que c’est bien le leader de la CFDT qui est sorti gagnant de la « séquence » des retraites.

Car Laurent Berger, par sa constance, sa pondération, sa détermination, sa cohérence dans ses idées et ses combats est devenu le dénominateur commun de cette gauche sociale-démocrate qui ne s’est toujours pas relevée du chamboule-tout de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 et se perd dans d’affligeantes batailles tactiques et d’ego qui désespèrent ses sympathisants et ses électeurs qui, eux, réclament l’union.

Autour de Laurent Berger peuvent ainsi se retrouver les multiples chapelles qui se parlent peu, mal ou pas du tout. Le Parti socialiste fracturé entre pro et anti-Nupes, la « Convention » lancée par Bernard Cazeneuve, le PCF de Fabien Roussel qui veut « élargir » la Nupes, et même Sandrine Rousseau (EELV) ou Clémentine Autain (LFI) qui appellent à un acte II de Nupes. « Nul doute que le camp du progrès social continuera à compter sur son engagement et sa clairvoyance », a réagi Carole Delga au départ du leader cédétiste.

Laurent Berger ne sera sans doute pas candidat à la présidentielle de 2027, mais la gauche serait bien inspirée de saisir l’élan, l’espoir que le syndicaliste a levé. Après le 21 juin, Laurent Berger va animer le collectif « Le pacte pour le pouvoir de vivre ». Une formule qui sonne pour la gauche comme un programme présidentiel à condition qu’elle s’attelle sérieusement à le construire, sans exclusive et avec toutes ses nuances – car il n’y a pas de gauches irréconciliables – si elle veut être l’alternance à Emmanuel Macron. Il reste quatre ans…

Par Philippe Rioux

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