Le licenciement des fonctionnaires

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Le ministre Stanislas Guerini, dans une récente sortie (de route) dont il est coutumier, a stigmatisé les agents publics en parlant de réformer « l’emploi à vie » des fonctionnaires et des licenciements qu’il estime trop peu fréquents au sein de la fonction publique, notamment en ce qui concerne les cas d’insuffisance professionnelle. Cette « initiative » s’inscrit dans le cadre d’une réforme plus large visant à soit disant moderniser la fonction publique et qui comprend déjà des propositions telles que la suppression des catégories C, B, A et un régime indemnitaire au mérite.

Le ministère de la Fonction Publique a adressé un document aux organisations syndicales représentatives du secteur public, exprimant son intention de traiter la question de l’insuffisance professionnelle. «Je veux qu’on lève le tabou du licenciement dans la fonction publique» s’est exprimé S. Guerini dans le Parisien, estimant que le licenciement pour insuffisance professionnelle est mal défini et peu appliqué, avec seulement 13 cas enregistrés en 2022 pour insuffisance professionnelle et 222 pour faute disciplinaire, sur les 2,5 millions d’agents travaillant dans la Fonction Publique Etat (FPE).

Des emplois garantis à vie ?

Le ministre, qui n’ignore pas ce qui est écrit dans les statuts – du moins on l’espère – surfe, de façon populiste sur l’idée largement répandue selon laquelle les fonctionnaires bénéficieraient d’un emploi garanti à vie. En réalité, les agents publics ne sont protégés contre le licenciement que dans le cas du licenciement économique. Des dispositions légales existent déjà pour permettre le licenciement dans certains cas, tels que l’abandon de poste, le refus répété de postes proposés après une période de disponibilité, et l’insuffisance professionnelle.

En 2023, la CFDT fonctions publiques a produit une fiche juridique sur le licenciement du fonctionnaire  dans laquelle il est rappelé que «l’un des fondements du statut de la fonction publique réside en ce que le fonctionnaire est titulaire de son grade et certainement en aucun cas de son emploi» ce qui rend l’idée d’un emploi garanti à vie complètement fausse. Pour la CFDT le licenciement des fonctionnaires n’est pas un tabou, comme l’affirme sans arrêt le ministre, et les dispositions et outils sont déjà existants pour traiter toutes les situations.

L’article L553-1 du Code général de la fonction publique (CGFP) mentionne 5 cas généraux de licenciement :

  1. Pour abandon de poste ;
  2. Après refus par l’intéressé au terme d’une période de disponibilité de 3 postes proposés en vue de sa réintégration, en application de l’article L514-8 ;
  3. Pour insuffisance professionnelle dans les conditions mentionnées aux articles L553-2 et L553-3 ;
  4. Dans la Fonction publique de l’État, en vertu de dispositions législatives de dégagement des cadres, prévoyant, soit le reclassement des fonctionnaires intéressés, soit leur indemnisation ;
  5. Dans la Fonction publique territoriale, au cours d’une période de prise en charge par le centre de gestion, l’absence de respect par l’intéressé de ses obligations en application de l’article L542-21 ou son refus de 3 emplois de son grade en application de l’article L542-22.

Le ministre Guerini a quand même concédé l’importance du maintien de la protection contre le licenciement économique, qui distingue le secteur public du secteur privé.

En conclusion, comme sur d’autres thèmes (exemple : les primes au mérite … qui existent déjà), on ne voit pas la nécessite d’une « réforme de la Fonction Publique » pour traiter ce sujet alors que les textes et les outils existent.

La Défense, avril 2024

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[Entretien] « La question n’est pas comment on licencie plus mais comment on rend la fonction publique plus attractive. »

Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint, était l’invité de France info mercredi 10 avril. Interrogé sur la question des licenciements dans la fonction publique, il a rappelé qu’il y a 70 000 postes manquants dans l’ensemble des 3 fonctions publiques : l’enjeu est donc de renforcer l’attractivité et non la possibilité de licencier des fonctionnaires. Concernant la négociation Pacte de la vie au travail, il a expliqué pourquoi la négociation n’avait pas abouti, précisant que le patronat n’avait fait aucune proposition notamment sur l’emploi des seniors. Enjeu pourtant majeur, particulièrement depuis le report de l’âge de la retraite à 64 ans, alors que la France a l’un des plus mauvais taux d’emploi des seniors en Europe.

Entretien à écouter ici [Cliquez sur « le 12 | 14 », puis cliquez sur 12h10, interview à 15’54]

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