Projet de loi « Fonction publique » : Une concertation, vraiment ? Chiche !

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Le mardi 9 avril, pendant deux heures, le Ministre Stanislas Guérini a entendu les organisations syndicales et les employeurs hospitaliers et territoriaux réagir au document de présentation du projet de loi qu’il devrait porter à l’automne. Une réunion dans un climat dont la confiance était absente.

Le Ministre a tenu à rappeler d’entrée de jeu que le projet de loi (PJL) qu’il porte s’inscrit dans un agenda social plus vaste.
Le contexte vécu par les agents publics est marqué essentiellement par un manque d’attractivité, une perte de sens au travail, un manque de perspectives salariales et professionnelles, de conditions d’exercice qui se dégradent. Les questions de perspectives salariales et les conditions de travail sont deux thématiques qui seront traitées dans des chantiers spécifiques dans les prochaines semaines.

Le Ministre a insisté sur le fait que le PJL s’inscrit dans le statut, ne le remet pas en cause, mais veut l’adapter aux enjeux d’aujourd’hui… en rappelant les principes du statut de 1946.
Trois axes sont ouverts à la concertation : entrer et bouger plus facilement dans la Fonction publique, promouvoir et mieux rémunérer l’engagement des agents, et mieux valoriser l’acquisition de compétences.

Après cette présentation, et la remise d’un diaporama de présentation un peu plus détaillée du projet de loi, la parole est aux organisations syndicales. Se sont exprimées : CGT, CFDT, Unsa, FSU, Solidaires, CGC, et FAFP (FO est dans une posture de boycott de l’ensemble des réunions, hormis les réunions d’instances).

La CFDT mesurera au cours des premiers échanges la capacité du Gouvernement à tenir enfin compte des alertes posées depuis des mois. Si il est possible de partager les ambitions et la nécessité de construire des dispositifs pour une fonction publique plus attractive, capable de fidéliser les agents, d’offrir des perspectives salariales, et de répondre (entre autres) aux attentes en matière de sens au travail, de prise en compte des enjeux d’égalité professionnelle, de transitions écologiques, les doutes et désaccords restent très forts sur la méthode et les solutions envisagées.

En tous cas, le Ministre aura fort à faire pour rétablir un peu de confiance, surtout après ses propos relayés dans la presse sur le licenciement et la nécessité d’en « lever le tabou »…

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Lors du lancement, le mardi 9 avril 2024, de la concertation sur le projet de loi « Fonction Publique », la CFDT a fait la déclaration ci-dessous (et en pièce jointe).

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Monsieur le Ministre,

Vous ouvrez aujourd’hui une concertation sur un projet de loi annoncé il y a quelques mois, à la surprise générale tant il n’était ni attendu ni demandé par personne, en tous cas pas par les agents que nous rencontrons pourtant régulièrement, et auxquels la CFDT donne la parole (il suffit d’avoir en mémoire les centaines de milliers de réponses aux enquêtes Parlons travail et Parlons retraites, par exemple).

La priorité, après deux années d’inflation terrible, jusqu’à quatre fois plus élevée que la moyenne d’ailleurs sur les produits alimentaires, la priorité de nos collègues, c’est de maintenir leur pouvoir de vivre de leur travail, pour eux et leur famille.

La mobilisation du 19 mars a d’ailleurs permis de constater que la colère sourde est désormais ancrée dans les territoires. Je ne mentionnerai pas ici la triste réunion du 14 mars, mais à cette colère le Gouvernement doit de se mettre à la hauteur des attentes.

Sur le fond, et dans le désordre, nous pourrions même vous rejoindre sur certains points ou ambitions :

  • Mieux reconnaître le travail des agents. Cette reconnaissance, elle ne passe certainement pas un discours stigmatisant sur le mérite (ou, ces derniers jours, sur le temps de travail) mais par une rémunération à la hauteur de l’engagement des agents, de leurs qualifications, de leurs compétences, de leurs responsabilités. Et cela appelle des négociations salariales et des négociations sur les carrières. Quant au mérite, les leviers existent. Sont-ils seulement utilisés ? Et pourquoi ? Parle-t-on ici des services RH décimés ? Des collègues en arrêt ? Ou qui fuient dès qu’ils le peuvent des services qui n’ont plus les moyens de faire leur travail de gestion et d’accompagnement ?
  • Mieux favoriser les recrutements et les mobilités. Faut-il une loi spécifique pour cela ? La CFDT en doute.
  • Redonner une meilleure place et surtout un meilleur contenu à l’évaluation. Faut-il une loi pour cela ? Là encore, la CFDT en doute.
  • Je préfère ne même pas m’attarder sur ce que vous proposez autour de l’insuffisance professionnelle ! Une loi pour accompagner des managers ? Quand de la formation pour les cadres de proximité et des accompagnements – formation ou autres – pour ces mêmes agents en insuffisance professionnelle serait indispensable et suffisante ?
  • Enfin, permettez-moi de réagir à votre axe central, en rouge d’ailleurs dans le document : la fin des catégories hiérarchiques qui ne dit pas son nom, des carrières enfermées dans des filières à l’opposé des aspirations de mobilités exprimées par les plus jeunes ?

Cet inventaire est loin d’être exhaustif, mais nous nous interdisons de passer en revue un document reçu hier en fin d’après-midi sans en avoir échangé collectivement. En revanche, nous vous rappelons que nombre des propositions que vous portez effacent les fruits d’une négociation qui a moins de dix ans et qui s’intitulait « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ».

Vous affirmez le choix de rester dans le statut et nous ne le contestons pas. Mais cela ne suffit pas à faire des propositions acceptables par les agents en place, ni rendre son attractivité à la fonction publique, ni à fidéliser les agents dont les envies de partir sont de plus en plus fortes.

Une étude d’impact est-elle disponible ou en cours de réalisation ? Nous avons hâte d’en découvrir la teneur, et nous espérons que son impact sur les services RH ne sera pas oublié. Nous avons en tête ce que donnent des décisions qui peuvent sembler bonnes sur le papier, se traduisent par des réorganisations dont le bilan est terrible et aura épuisé tous les agents, quel que soit leur niveau hiérarchique sans pour autant répondre aux attentes des usagers.

Aujourd’hui, monsieur le Ministre, le Gouvernement doit se saisir des dispositifs qu’il a lui-même voulus dans le premier quinquennat en instaurant la négociation collective dans la Fonction publique pour traiter en priorité : les rémunérations ; la qualité de vie et les conditions de travail car la relation au travail change et évolue au gré de la vie et des générations ; l’égalité professionnelle car il ne suffit plus de corriger petit à petit les inégalités liées au genre. Or, par exemple, le document ne mentionne nulle part votre volonté d’inscrire dans la loi la négociation annuelle obligatoire sur les salaires.

La colère sourde que je mentionnais en début d’intervention menace. Elle explosera dans les rues ou dans les urnes. La CFDT le redit : le projet de loi – priorité du Gouvernement – ne sera socialement acceptable qu’à condition de répondre aux enjeux prioritaires pour les agents, pour les usagers et l’intérêt général du pays tout en laissant la place la plus large à la négociation collective. Pour cela, il vous faudra amender, peut-être renoncer à certaines de vos intentions, et entendre nos propositions.

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D’après l’article initialement publié par L’UFFA-CFDT
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