Stanislas Guerini : “Mes priorités pour la fonction publique”

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Stanislas Guerini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a accordé une interview de rentrée à Acteurs Publics, que vous trouverez ci-dessous.

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Accessibilité des services publics, attractivité de la fonction publique, planification écologique, chantier des carrières et des rémunérations… Dans cette interview de rentrée accordée à Acteurs publics, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques détaille sa feuille de route.

Le président de la République vient de lancer le Conseil national de la refondation (CNR). Quelle place la fonction publique et les services publics occuperont-ils dans ces travaux ?

Centrale. Car la puissance publique et les services publics sont au cœur des mutations que vit notre société. Nous faisons face à la conjonction de grandes transitions qui viennent percuter nos sociétés : écologique, démographique et numérique. Cela nous oblige à réinventer les missions et la doctrine de nos services publics. J’ajoute que nous le faisons dans un moment très particulier, après avoir traversé une crise sanitaire qui a été révélatrice de la capacité des services publics à permettre au pays de tenir. Les Français ont vu l’engagement et le rôle indispensable de l’ensemble des agents publics. L’administration a dit, avec humilité, ce qu’elle savait et ce qu’elle ne savait pas, a décloisonné, a pris des risques, a révélé des talents et a raccourci les chaînes de commandement. C’est pour moi la  préfiguration d’un service public plus humain, plus efficace et au final ambitieux dans ses résultats et sa capacité à susciter l’adhésion de l’ensemble des agents publics. Humilité, efficacité, ambition : c’est à cela que je crois. Alors nous pourrons repositionner la puissance publique comme la garante  des solidarités et l’accompagnatrice des grandes transitions. Je réunirai d’ailleurs d’ici un mois l’ensemble des parties prenantes de la fonction publique et des services publics pour participer à une réflexion sur le sens de notre action publique et de notre feuille de route collective.

Je mets le chantier de l’attractivité tout au-dessus de la pile.

Grand débat, loi de transformation de la fonction publique de 2019… Plusieurs exercices de concertation passés sur les services publics ont déçu leurs participants. Comment le gouvernement arrivera-t-il à convaincre de la sincérité de la nouvelle démarche initiée ?

Tous mes interlocuteurs me le disent : donnez du sens à l’action des agents publics ! Ce moment de réflexion collective autour des missions et de la place des services publics me semble indispensable. Les grands défis auxquels nous faisons face créent un véritable momentum pour reposer une doctrine, d’autant plus que je suis un ministre de la Fonction publique dont la feuille de route ne repose pas sur des suppressions de postes de fonctionnaires. Je me battrai contre le “fonctionnaire bashing” et ces discours d’estrade trop souvent entendus qui rabaissent la fonction publique. Je mets 3 priorités sur la table : l’attractivité de la fonction publique, l’accessibilité des services publics et la capacité pour la fonction publique à accompagner les grandes transitions, et en premier lieu à réaliser la planification écologique. Je mets le chantier de l’attractivité tout au-dessus de la pile, car si on ne le fait pas pour nos agents, si on ne se donne pas les moyens et les outils pour bâtir des carrières dynamiques et valoriser l’engagement, alors nous ne réussirons pas à relever le défi fondamental de la restauration de la confiance dans l’administration. 

Comment le chantier des carrières et des rémunérations peut-il résoudre cette problématique d’attractivité ? Le statut est-il toujours un gage d’attractivité de la fonction publique, en particulier pour les jeunes générations ? 

D’abord, mener ce chantier dans un cadre statutaire, c’est l’occasion de réaffirmer la singularité de la fonction publique. La fonction publique n’est pas une entreprise. Quand on la rejoint, on s’engage pour quelque chose de plus grand que soi qui s’appelle l’intérêt général. Et on peut tout à fait proposer des carrières dynamiques et évolutives tout en respectant le cadre statutaire. Pour cela, nous devons mieux valoriser les métiers et filières professionnelles. Nous devons rendre les carrières plus dynamiques, ce qui peut passer par l’instauration d’un socle de garanties et d’accélérateurs de carrière, et mieux reconnaître l’engagement des agents publics. Nous allons mettre tous ces sujets en discussion. Si nous faisons cela et que nous savons répondre au défi du sens, alors nous serons à nouveau des employeurs attractifs et en retour, nous servirons d’autant mieux les intérêts de nos concitoyens.

La fonction publique n’est pas une entreprise.

Depuis plusieurs années, on observe une forme de dualisation de la fonction publique, avec une population contractuelle qui prend de plus en plus de place. Cette cohabitation génère-t-elle des difficultés, en matière d’attractivité des carrières et de mobilité ? 

Il ne faut pas se perdre dans un faux débat qui opposerait les contractuels aux fonctionnaires. Bien souvent, nos difficultés pour embaucher sont plutôt liées à des déficits d’attractivité globale qu’à un problème de statut entre contractuels et fonctionnaires. D’ailleurs, nous rapprochons déjà les protections apportées aux contractuels et aux fonctionnaires. Ce fut le cas dernièrement avec l’unification des dispositions relatives aux congés paternité.

Quel est le calendrier du chantier des carrières et des rémunérations ?

Je suis très respectueux du calendrier des organisations syndicales et de l’échéance des élections professionnelles de décembre prochain. Comme je l’ai annoncé, une phase de concertation va être très prochainement lancée et se poursuivra tout au long de l’automne pour pouvoir mettre sur la table les sujets prioritaires, mais nous tiendrons compte de ce calendrier. Outre les discussions déjà engagées sur la protection sociale complémentaire santé et la prévoyance, pourront ainsi être abordés les dispositifs de rémunération et les parcours, l’action sociale et le logement, la santé au travail ou bien encore l’égalité professionnelle… Une négociation plus formalisée s’engagera ensuite début 2023, à l’issue des élections. L’objectif étant d’aboutir mi-2023 à des décisions, notamment sur la refonte des carrières et des rémunérations.

Comptez-vous agir sur les deuxièmes parties de carrière ? 

C’est totalement cohérent avec le chantier que nous souhaitons mener sur les carrières pour les rendre plus attractives. Il faut développer des dispositifs pour pouvoir accompagner les agents dans la valorisation et le développement de leurs compétences pour une deuxième, voire une troisième partie de carrière. Pour les cadres, le réseau animé par la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) va considérablement se structurer pour les accompagner dans leurs parcours de carrière et le développement de leur rôle de manager. Pour tous les agents, cela passe aussi par le développement de la formation professionnelle tout au long de la carrière, qui doit être plus accessible et valorisée dans la fonction publique. La formation est une des clés de la réussite pour redonner du souffle aux carrières des agents.

Je n’ai absolument pas l’intention de faire porter l’effort financier de l’État en matière de transition écologique sur les agents publics !

Pourquoi faites-vous de la planification écologique l’une de vos priorités ? 

Parce qu’elle ne pourra se faire sans un engagement total de la fonction publique. ll faut orienter toutes les énergies et toutes les volontés pour réussir cette transition. Cela donne d’ailleurs énormément de sens au travail des agents publics. Il y a deux leviers : celui de l’État exemplaire et celui de l’État facilitateur et accompagnateur, pour permettre l’accélération des projets d’énergies renouvelables, par exemple. 

Dans le cadre de la préparation du plan “pour un État exemplaire”, vous avez avancé l’idée d’un développement du télétravail pour pouvoir fermer des bâtiments publics et ainsi générer des économies d’énergie. Cette piste a été vivement critiquée, par les syndicats notamment, qui vous reprochent de vouloir faire porter l’effort sur les agents publics eux-mêmes…

Soyons clairs : je n’ai absolument pas l’intention de faire porter l’effort financier de l’État en matière de transition écologique sur les agents publics ! Nous sommes en train de recueillir toutes les idées qui nous permettront, dans un premier temps, de passer l’hiver et de répondre aux enjeux de sobriété. Les agents de l’État doivent y prendre part. Nous discutons avec les organisations syndicales et testons des idées pour établir la feuille de route pour un État exemplaire d’ici la fin du mois de septembre. Il y a beaucoup de pistes de travail, notamment sur les mobilités, l’organisation du travail, le bâti ou la gestion des fluides. Je ne mettrai aucune idée sous le tapis, mais une des conditions de la réussite sera d’accompagner tous les agents publics.

Certains spécialistes doutent néanmoins de l’efficacité du télétravail en matière de réduction de la consommation d’énergie…

Je partage pleinement la position qu’a exprimée notamment Laurent Berger (CFDT). La question du télétravail pose plus globalement la question de l’organisation du travail. Aujourd’hui, quand on a à la fois des agents qui télétravaillent et que, le même jour, d’autres viennent aussi sur leur lieu de travail habituel, alors se pose effectivement la question de l’efficacité en matière de sobriété énergétique. C’est ce sujet que j’ai soumis à la discussion, auquel j’ajoute volontiers celui de l’accompagnement financier des agents en matière de télétravail. Si l’on donne des gages de crédibilité, alors on pourra entraîner beaucoup de changements. 

Quid du plan de formation à la transition écologique que vous êtes en train de préparer pour les agents publics, notamment ceux de l’encadrement supérieur ?

D’abord, il faut un socle de connaissances partagées, qui repose sur la science. Mais former les agents ne consiste pas simplement à proposer des cours théoriques sur le changement climatique. Ces formations doivent être de véritables moments de mise en action. Ce plan de formation aidera à construire des plans d’action concrets, administration par administration. Les chefs de service et les préfets que je rencontre sur le terrain me disent eux-mêmes être à la recherche de la bonne information s’agissant de la transition écologique. Par exemple, quels sont les investissements à prioriser ? Plutôt que de leur adresser des injonctions ou de les laisser se débrouiller, il faut leur donner des outils extrêmement concrets. C’est le sens de la formation que nous préparons et qui concernera, au moins dans un premier temps, les 25 000 cadres de la fonction publique de l’État, qui seront formés d’ici 2024, en commençant par les directeurs d’administration centrale dès l’automne qui vient.

Nous allons faire l’acte II du réseau France services.

Vous évoquiez comme autre priorité la question de l’accessibilité des services publics. Pourquoi ? 

Parce que c’est le fondement de la confiance entre les Français et l’administration. Et qu’elle se joue souvent au guichet. On va continuer à numériser et à simplifier, mais parce que les citoyens attendent aussi d’avoir des agents en face d’eux qui puissent les guider, les renseigner et leur apporter des réponses, nous devons également remettre des voix et des visages. C’est cela, le sens de l’accessibilité. Nous avons beaucoup investi, dans le quinquennat précédent, en créant 2 500 maisons France services. Nous allons faire désormais l’acte II du réseau France services, en montant en compétences, en enrichissant le bouquet de services proposés aux Français et en pérennisant les postes de conseillers numériques France services. 

Vous réunirez par ailleurs les représentants du personnel et des employeurs mi-septembre pour un suivi de la Conférence salariale du mois de juin dernier. Les syndicats réclament une nouvelle revalorisation générale, au vu du contexte inflationniste… 

Cette réunion sera l’occasion de regarder l’impact de l’ensemble des mesures qui ont été prises pour protéger les Français, et les agents publics singulièrement. Que ce soit pour la revalorisation du point d’indice – la plus forte depuis trente-sept ans –, la reconduction de la Gipa [la garantie individuelle de pouvoir d’achat, ndlr], la revalorisation des débuts de carrières de catégorie B ou l’élargissement du forfait “mobilités durables”, il s’agit de veiller à la bonne application des mesures prises au mois de juin. La France est aujourd’hui le pays qui a le taux d’inflation le plus faible d’Europe. Le bouclier tarifaire, par exemple, absorbe l’augmentation du prix de l’énergie pour les Français.

Avec l’ensemble des membres du gouvernement, j’appelle les agents publics à aller voter.

Les élections professionnelles se tiendront en décembre dans la fonction publique. Quels messages souhaitez-vous adresser aux agents publics, alors que le précédent scrutin, en 2018, a vu la participation passer pour la première fois sous la barre des 50 % ?

Comme pour beaucoup de scrutins, l’érosion de la participation touche malheureusement les élections professionnelles. C’est pourquoi je souhaite adresser un message d’engagement et de responsabilité. Si l’on veut faire vivre le dialogue et la démocratie sociale, alors il faut s’engager et aller voter. Avec l’ensemble des membres du gouvernement, j’appelle les agents publics à aller voter pour ce moment démocratique extrêmement important, qui est le gage d’un dialogue crédible. Je veillerai aussi à ce que ces élections se déroulent dans les meilleures conditions, notamment sur le plan technique, compte tenu de la généralisation du vote électronique dans la fonction publique de l’État. 

Pensez-vous que les agents auront autant envie d’aller voter que par le passé, sachant que les syndicats n’ont plus le même rôle en première instance du fait de la réduction des compétences des commissions administratives paritaires ? N’y a-t-il pas eu une prise de risque ?

Les compétences des commissions administratives paritaires ont été recentrées sur les questions les plus importantes touchant aux garanties des personnels et dans le même temps, la place de la négociation collective est valorisée. Regardons les défis qui sont devant nous : nous aurons besoin de syndicats forts pour faire vivre un dialogue social de qualité et réussir ensemble.

Au mois d’octobre, je donnerai de la visibilité sur l’évolution des grilles salariales pour les 13 corps constitutifs du nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État.

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a notamment été marqué par l’application de la règle des 1 607 heures de travail annuel dans la fonction publique territoriale. Souhaitez-vous aller plus loin ? 

Il faut faire vivre cet acquis-là. Amélie de Montchalin [à qui Stanislas Guerini a succédé comme ministre de la Fonction publique, ndlr] a eu raison d’appliquer ce principe d’équité entre les différents versants de la fonction publique. D’ailleurs, les dernières décisions rendues par la justice nous confortent dans cette approche. Comme pour l’ensemble des mesures de la loi de 2019, portée par Olivier Dussopt, les dispositions sur le temps de travail doivent maintenant vivre in concreto dans les pratiques RH des collectivités. 

La réforme de la haute fonction publique, engagée par votre prédécesseure, Amélie de Montchalin, a distendu les liens avec certains pans de la sphère administrative. Quel récit souhaitez-vous écrire ? 

Je défends le sens de la réforme portée par le président de la République en faveur d’une haute fonction publique plus ouverte qui permette de faire respirer les carrières. Il faut désormais la mettre en musique. Cela passe par un accompagnement RH de ces carrières afin de donner des perspectives aux hauts fonctionnaires. Au mois d’octobre, je donnerai d’ailleurs de la visibilité sur l’évolution des grilles salariales pour les 13 corps constitutifs du nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État.

Propos recueillis par Bastien Scordia et Pierre Laberrondo

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