Transformation de l’ENA en ISP : « Il ne peut y avoir de perdants, sur quelque sujet que ce soit »

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Transformation de l’ENA en ISP : « Il ne peut y avoir de perdants, sur quelque sujet que ce soit »(26-04-21)

Dans une interview donnée à l’AEF le 26 avril, Mylène Jacquot secrétaire générale de la CFDT Fonction publique s’est exprimée sur les conséquences de la transformation de l’ENA en ISP (Institut du service public) et sur les parcours de carrière des futurs hauts fonctionnaires.

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« Il ne peut y avoir de perdants, sur quelque sujet que ce soit », estime Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, interrogée par AEF info ce 26 avril 2021 sur les conséquences de la transformation de l’ENA en ISP (Institut du service public) sur les parcours de carrière des futurs hauts fonctionnaires. Alors que le projet d’ordonnance sera soumis au CSFPE le 3 mai, Mylène Jacquot alerte sur l’ampleur des questions statutaires à venir et prévient que la CFDT « sera particulièrement attentive au passage des dispositions actuelles aux futures » s’agissant des inspections générales.

Outre « des attentes fortes » sur la mise en œuvre d’une formation centrée sur l’acquisition de compétences », elle juge utile de renforcer le volume du tronc commun à 14 écoles. Elle plaide aussi pour un accès plus diversifié aux missions de contrôle, dont l’indépendance doit être garantie.

 

AEF info : Que vous inspire le remplacement de l’ENA par l’ISP (Institut du service public) à compter du 1er janvier 2022 ?

Mylène Jacquot : Dès les travaux menés par Frédéric Thiriez, nous avions fait un choix clair : la CFDT a fait des propositions sur les recrutements, la formation, les déroulements de carrière (dont l’accès aux grands corps), fidèles à notre revendication historique de suppression du classement de sortie. Notre sujet n’était pas de défendre telle ou telle école, mais des principes, dans l’intérêt des agents évidemment, et de nos attentes en matière d’action et de politiques publiques.

Dès les annonces du président de la République, notre première préoccupation était de nous enquérir des personnels de l’ENA. En lien avec la section syndicale CFDT, nous avons immédiatement cherché à savoir si le futur ISP garderait les mêmes implantations et disposerait des moyens suffisants. Nous avons rapidement été rassurés. Et on sait que les personnels seront attachés à mener à bien la transformation de l’ENA en ISP, puisque c’est bien cela qui est à l’ordre du jour.

Sur les contenus de formation, nous avons des attentes fortes pour mettre en œuvre une formation centrée sur l’acquisition de compétences, et sur le renforcement des liens avec le monde académique. Il faut aujourd’hui sortir de la reproduction, de la conformation pour ouvrir à des connaissances qui permettront de mieux appréhender les enjeux et les défis quotidiens auxquels les cadres sont confrontés dans leur exercice.

AEF info : Mis à part la disparition du nom « ENA », cette réforme, paraît, en l’état, moins ambitieuse que celle proposée en février 2020 par la mission Thiriez, concernant notamment le tronc commun. Comment l’expliquez-vous ?

Mylène Jacquot : Les informations dont nous disposons à ce stade sont effectivement plutôt déceptives, sur le volume et sur les modalités. Ceci dit, il y a aussi de bonnes nouvelles : d’abord, ce tronc commun intéresse d’emblée quatorze écoles (lire sur AEF info). Et nous savons que d’autres « frappent à la porte ».

Ensuite, ce n’est qu’un début… Il faudra probablement renforcer le volume de ce tronc commun et passer du distanciel au présentiel, car la construction d’une culture commune passe par les échanges directs entre élèves et les travaux partagés.

On ne pourra pas non plus faire l’économie de la réflexion sur chacune des formations dispensées par chacune des écoles et de leur articulation avec ce tronc commun.

AEF info : Qu’attendez-vous des discussions à venir sur le projet d’ordonnance (lire sur AEF info), celui-ci étant à ce stade peu précis ? Quels points faudrait-il améliorer selon vous ?

Mylène Jacquot : L’ordonnance ne traite effectivement que de ce qui relève du domaine législatif, et c’est normal. Nous déposerons plusieurs amendements sur ce projet pour obtenir des précisions sur l’articulation entre l’interministériel et le ministériel par exemple. Car c’est dans les ministères que la gestion et l’évaluation annuelle vont continuer de s’exercer.

Mais nous faisons aussi des propositions novatrices sur les parcours professionnels des cadres. Par exemple, nous proposons d’introduire la possibilité de diversifier leur parcours par du mécénat de compétences. Cela permettrait aux administrateurs de l’État de diversifier leur parcours en mettant leurs compétences au service d’engagements d’intérêt général, et pas seulement au sein soit de la sphère publique, soit de la sphère privée.

Cette ordonnance trace aussi les lignes et un début d’inventaire des décrets à venir. Et c’est là une autre de nos alertes : les questions statutaires ne sont pas minces. Il y a évidemment le statut des futurs administrateurs de l’État. Mais je pense aussi particulièrement aux statuts particuliers des corps des inspections générales. La CFDT sera particulièrement attentive au passage des dispositions actuelles aux futures. Il ne peut y avoir de perdants, sur quelque sujet que ce soit.

AEF info : Le nouveau dispositif, associé à la création de classes prépas et de concours « Talents », est-il en mesure de gommer les biais du précédent, en matière de diversité sociale notamment ? Plusieurs voix se sont déjà élevées contre un simple « effet marketing » et préconisent un travail plus en amont…

Mylène Jacquot : Lors du vote sur le texte relatif à l’instauration du dispositif « Talents », la CFDT a été très claire. Oui, ces dispositifs sont indispensables. Non, ils ne sont pas suffisants. Se contenter de cela, ce serait se donner bonne conscience à bon compte. Nous l’avions dit lors du Conseil commun du 22 février dernier : le combat pour l’égalité des chances ne souffre pas de préalable. Car les personnes, les familles, les jeunes concernés n’ont pas les moyens d’attendre toujours plus longtemps, surtout en cette période particulière.

Alors, plutôt que de refuser ce qui se fait au prétexte que ce serait insuffisant, nous nous battons pour penser plus loin, pour agir plus vite et réduire les inégalités partout, dans tous les domaines.

AEF info : La réforme la plus profonde concerne l’affectation des élèves à la sortie ainsi que les évaluations régulières qui pourront le cas échéant conduire à des réorientations. Le chef de l’État a également évoqué la fonctionnalisation des postes d’encadrement de l’État. Cela va-t-il réellement faire évoluer l’encadrement supérieur de l’État et le rendre plus en phase avec le terrain ?

Mylène Jacquot : Bien malin qui saurait dire aujourd’hui tout ce que cela fera évoluer dans l’encadrement supérieur de l’État. Pour la CFDT, ce sont surtout les parcours professionnels qu’il faut revaloriser en supprimant le déterminisme du rang de sortie, en permettant des accès aux missions de contrôle à des profils plus diversifiés, en valorisant les fonctions plus opérationnelles, en revalorisant fortement et en renforçant numériquement le corps des administrateurs civils qui deviennent les administrateurs de l’État.

Et surtout, nous n’oublions pas que la valorisation de ces parcours ne va pas sans sécurisation. C’est là notre plus fort point d’alerte et de vigilance : il faut garantir l’indépendance du contrôle, et l’indépendance des contrôleurs. Ni leur travail ni leur carrière ne peuvent être entre les mains du politique. Les agents autant que les citoyens et les gouvernements auraient gros à y perdre en matière de regard critique sur l’action publique.

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Sur le même sujet :

Mylène Jacquot (vidéo) : “L’actualité de la fonction publique ne se résume pas à l’ENA !” : Au cours d’une interview à Acteurs Publics, la secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques analyse les enjeux portés par la suppression de l’ENA et l’actualité relative à la fonction publique : rémunérations, accompagnement des agents…

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Pour aller plus loin :

Réforme de la haute fonction publique : les amendements des syndicats (par Acteurs Publics – 03-05-21)

Le projet de texte est examiné ce lundi 3 mai par le Conseil supérieur de la fonction publique d’État (CSFPE). Passage en revue des principaux amendements déposés à cette occasion par les syndicats.

Les consultations sur le projet d’ordonnance de réforme de la haute fonction publique battent leur plein. Ce lundi 3 mai, c’est le Conseil supérieur de la fonction publique d’État (CSFPE) qui s’est penché sur ce texte, qui acte notamment la suppression-transformation de l’ENA, la révision des modalités de titularisation dans les corps juridictionnels et la fonctionnalisation des inspections interministérielles – donc la suppression de leurs corps.

Au total, près d’une soixantaine d’amendements ont été déposés par les syndicats sur ce projet d’ordonnance, dont la présentation est prévue en Conseil des ministres le 26 mai. Passage en revue des principaux amendements syndicaux examinés ce 3 mai en CSFPE. Une instance à l’avis non contraignant puisque purement consultatif.

Sur le nom de l’Institut du service public (ISP). Force ouvrière (FO) a déposé un vœu pour qu’une “réflexion soit menée pour trouver un autre nom plus conforme à l’identité” de cette structure qui remplacera l’ENA le 1er janvier 2022. “L’usage du terme institut pourrait affecter l’objet de l’établissement d’un manque de lisibilité et de notoriété”, souligne le syndicat en indiquant que les actuelles écoles de service public “affichent dans leur nom leur mission pédagogique (écoles, études, …)”. Dans le même ordre d’idée, l’Unsa et la CFDT ont déposé des amendements pour ajouter le terme “national” au nom du futur institut.

Sur les missions du nouvel institut. Alors que le projet d’ordonnance prévoit que l’ISP soit un établissement public de l’État à caractère administratif placé sous la tutelle du gouvernement (comme pour l’ENA, ndlr), FO propose que celui-ci soit un “établissement public à caractère scientifique culturel et professionnel constitué sous la forme d’un grand établissement”. “Sans méconnaitre son rôle d’école d’application, dans le contexte de professionnalisation de la formation initiale et continue, l’ISP doit posséder un statut adapté à ses missions et à ses objectifs de développement dans un cadre international”, explique le syndicat dans son amendement.

À noter, par ailleurs, que la CFDT a déposé un amendement pour que les élèves admis en formation initiale à l’ISP, ainsi que les bénéficiaires de formation continue, “puissent obtenir une équivalence leur permettant de valider leur formation, dans le cadre de la volonté de rapprochement entre l’institut et le monde académique”. De son côté, l’Unsa a déposé un amendement pour que l’ISP puisse engager des actions de formation, “y compris diplômantes”, avec des universités notamment. Pour rappel, l’ENA ne délivre pas de diplômes actuellement.

Sur le corps des administrateurs de l’État. Si les règles relatives à ce corps seront précisées par décret, FO pousse déjà pour y améliorer les conditions d’accès par la voie professionnelle “en reconnaissant et en valorisant les acquis de l’expérience dans le public et le privé”. Le syndicat propose ainsi que la prise en compte de l’expérience professionnelle portée par les lauréats du concours interne et du troisième concours se traduise “par des dispositifs adaptés” pour l’accès à ce corps.

Dans une récente tribune pour Acteurs publics, les représentants du troisième concours et du concours interne de l’ENA dénonçaient une réforme de la haute fonction publique pensée pour des profils “juniors”. En ne tenant pas compte des énarques issus de la voie professionnelle, les mesures envisagés risquent, selon eux, de limiter encore la diversité professionnelle des hauts fonctionnaires. En opposition avec l’objectif recherché par l’exécutif [cliquez ici pour consulter cette tribune].

Sur les lignes directrices de gestion interministérielles. C’est l’un des points les plus fondamentaux du projet d’ordonnance. Celle-ci prévoit précisément que, pour l’encadrement supérieur, le Premier ministre édicte des lignes directrices de gestion, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État.

Ces lignes directrices de gestion déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines des agents concernés et fixent les orientations générales en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de mobilité interministérielle, inter-versants et internationale, de promotion, d’évaluation, de valorisation des parcours des agents et d’accompagnement des transitions professionnelles. Une rupture avec la philosophie de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 qui prévoyait que les lignes de gestion de la fonction publique étaient définies par chacun des ministres dans le cadre de leur département ministériel, voire même parfois, dans les faits, à un plus bas niveau. L’application de ces lignes directrices restera évidemment dans le champ réglementaire. Mais pour FO, “leur champ, objet, stratégie et orientations relèvent du réglementaire”.

La FSU pousse de son côté à la suppression de l’article, en soulignant que l’article en question est “de nature à affaiblir les GRH ministérielles concernant leur encadrement supérieur”. Aussi, l’Unsa a déposé un amendement pour qu’une commission interministérielle soit consultée sur ces lignes directrices avant le CSFPE pour permettre aux agents concernés “de donner un avis”. Les syndicats plaident aussi pour renforcer l’impartialité des instances collégiales, qui seront chargées d’évaluer les agents de l’encadrement supérieur. Via notamment, comme le souhaite la CGT, la présence de représentants syndicaux.

Sur les inspections. FO propose tout bonnement de supprimer l’article 7 du projet d’ordonnance relative à la fonctionnalisation des inspections interministérielles. “Afin de conserver les missions et attributions qui leur sont dévolues par la loi et par les textes réglementaires, ainsi que leur mission générale de contrôle, d’audit, d’étude, de conseil et d’évaluation des politiques publiques, de formation et de coopération internationale, il convient d’offrir pleinement aux corps d’inspection générale, les garanties essentielles du statut général des fonctionnaires en matière de protection contre les nominations ou les évictions d’opportunité”, explique ce syndicat dans un amendement.

La CFDT et l’Unsa ont par ailleurs déposé des amendements pour renforcer les garanties d’indépendance des inspections. Celui de l’Unsa demande que la durée d’affectation des agents exerçant des fonctions d’inspection puisse être renouvelable. Celui de

la CFDT vise à garantir aux membres actuels des corps d’inspection le maintien de leur droit de retour dans leur service via une nomination à durée indéterminée.

par Bastien Scordia

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Dernière minute :

Lors de l’examen du texte en Conseil supérieur de la fonction publique d’État (CSFPE), lundi 3 mai, la CFDT s’est abstenue sur ce projet d’ordonnance. Cette abstention est liée notamment à des incertitudes sur plusieurs points et du manque de garantie sur d’autres.
L’Unsa et CFE-CGC se sont également abstenus.
CGT, FSU, FO, Solidaires ont voté contre.

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