ANCT : rapport de la Cour des Comptes sur le fonctionnement, les missions et les réalisations de l’agence

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L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a été créé il y a quatre ans. La Cour des comptes a publié cette semaine un rapport sur le fonctionnement, les missions et les réalisations de l’agence. C’est la commission des finances du Sénat qui a commander cette enquête à la Cour des Comptes.

Ce rapport est intitulé : L’AGENCE NATIONALE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES (ANCT) : Un outil à consolider

Contexte de l’enquête :

Par un courrier du 14 décembre 2022, le président de la commission des finances du Sénat a demandé au Premier président de la Cour des comptes de réaliser un contrôle sur « la mise en place et la viabilité de l’Agence nationale de la cohésion des territoires » (ANCT), au titre du 2° de l’article 58 précité. Le contrôle de cet organisme, sur ses trois premières années de fonctionnement (2020-2022), a été inscrit au programme de la 5ème chambre de la Cour et a été notifié au président et au directeur général de l’ANCT, au directeur général des collectivités locales, à la directrice du budget et aux secrétaires généraux du ministère de l’intérieur et du ministère de la transition écologique.

Au cours de l’enquête, 76 personnes ont été rencontrées lors d’entretiens. Outre l’encadrement supérieur de l’ANCT, des entretiens ont été conduits avec une partie de l’encadrement intermédiaire de l’agence, ainsi qu’avec sa tutelle, la direction générale des collectivités locales, et les principaux opérateurs partenaires : (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ; Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ; Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ; Banque des territoires ; Agence nationale de l’habitat (Anah).

L’équipe de contrôle s’est rendue à plusieurs reprises à l’ANCT, qui lui a donné par ailleurs accès à son système d’information financière.

Deux déplacements ont été organisés, à Auch et à Arras, pour apprécier l’action de l’ANCT dans les départements, au cours desquels se sont tenues des rencontres avec les élus et les équipes préfectorales. Un déplacement a été organisé à Lille, où se trouvent l’équipe projets appuis opérationnels (PAO) de l’ANCT chargée de l’activité immobilière de (ex-Epareca), l’agence comptable et le service juridique de l’ANCT.

Le rapport a été préparé par M. Bouvier, conseiller maître en service extraordinaire, Mme Caussemille, conseillère référendaire en service extraordinaire, M. Launay, conseiller référendaire en service extraordinaire en tant que rapporteurs, Mme Bou Najm, vérificatrice et M. Bignon, auditeur des systèmes d’information.

Il a été délibéré le 20 septembre 2023 par la 5ème chambre, présidée par Mme Démier, présidente, et composée de M. Cabourdin, président de section, MM. Pierre, Colin et Gourdin, conseillers maîtres, Mme Mazoyer, conseillère maître, MM. Keïta et Lalande conseillers maîtres en service extraordinaire ainsi que, en tant que contre-rapporteur, M. Duguépéroux, conseiller maître.

Le comité du rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de M. Moscovici, Premier président, M. Rolland, rapporteur général du comité, Mme Podeur, M. Charpy, Mme Camby, Mme Démier, M. Bertucci, Mme Hamayon, M. Meddah, présidentes et présidents de chambre de la Cour, M. Michaut, M. Lejeune, M. Advielle, Mme Daussin-Charpantier, Mme Gervais et Mme Renet, présidents et présidentes de chambre régionale des comptes ainsi que M. Gautier, procureur général, a été consulté sur le rapport le 5 octobre 2023. Le Premier président a approuvé la transmission du texte définitif au Sénat le 23 novembre 2023.

Synthèse :

Créée le 1er janvier 2020, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est un établissement public qui a pour objectif de faciliter les projets portés par les collectivités, en déployant des dispositifs de l’État en faveur de la cohésion territoriale et en facilitant l’accès des petites collectivités à l’ingénierie.

Une fusion des principaux organismes de l’État œuvrant dans le domaine avait été envisagée (1). C’est finalement une mise en réseau de ces derniers qui a été retenue, la fusion se limitant au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), à l’Agence du numérique et à l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca). Bien que les gains provenant de la réunion de seulement trois organismes, oeuvrant chacun dans des domaines très spécifiques, n’ont pas encore été démontrés, il n’est cependant pas souhaitable de remettre ce périmètre en question. La structure a aujourd’hui besoin de stabilité pour déployer son action dans de bonnes conditions.

La mise au point du projet de l’établissement, pilotée par la direction interministérielle pour la transformation publique (DITP), a été très largement confiée à un cabinet de conseil . Sa mise en place s’est faite dans des conditions difficiles, contrariée par la crise sanitaire survenue moins de trois mois après sa création, qui a retardé sa structuration et le déploiement de son action.

Les politiques menées par l’ANCT sont d’une grande variété. Elles recouvrent le pilotage de la politique de la ville, les dispositifs de l’État en faveur des villes moyennes, des petites villes, de la ruralité et de la montagne, le déploiement du très haut débit, l’accès au numérique, les politiques d’accès aux services publics et le soutien à la création de tiers lieux. L’ANCT est également autorité de coordination pour la gestion des fonds européens, compétence relevant usuellement en France d’une administration centrale. Depuis sa création, l’agence a ainsi poursuivi ou assuré le déploiement d’un grand nombre de programmes et de dispositifs nationaux, plébiscités par les élus locaux, et qui sont autant de marqueurs de son action sur le terrain.

Pour autant, la conduite de ses missions est contrainte et fragilisée par des difficultés notamment internes, relevées par le présent rapport.

Les multiples politiques que l’ANCT anime requièrent un accompagnement actif des collectivités, qui ne peut être réalisé par ses seuls services, aux effectifs limités et très majoritairement situés à Paris. Sa présence dans les territoires est assurée par les préfets de département, désignés comme ses délégués territoriaux par l’article 4 de la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création de l’ANCT. Leur implication est cependant très variable d’un département à l’autre, ce qui peut induire des différences de traitement entre les territoires. En effet, aucun moyen spécifique n’a été prévu pour les épauler dans cette mission hormis les huit chargés de missions territoriaux. Même s’il est prévu d’en doubler le nombre, ils ne pourront suffire à garantir seuls, le déploiement du soutien en ingénierie « sur mesure » promis lors de la création de l’ANCT.

La diversité des missions exercées rend complexe le management de l’ANCT. Ses services sont organisés en directions, chacune porteuse d’une ou de plusieurs politiques, travaillant de manière autonome, et souvent en lien direct et exclusif avec chaque cabinet ministériel. Ces conditions n’ont pas favorisé jusqu’à présent la nécessaire promotion d’une culture commune à l’établissement ni l’homogénéisation des processus de travail et des règles de gestion, axes d’effort identifiés comme prioritaires tant par l’ANCT que par la direction générale des collectivités locales. Des insuffisances perdurent en matière de gestion qui touchent l’ensemble des fonctions supports. Elles témoignent de la nécessité de renforcer l’articulation entre le secrétariat général et les directions métiers en dotant l’ANCT des outils de pilotage adéquats.

La gestion des ressources humaines doit faire face à de nombreux départs et à des difficultés de recrutement et de fidélisation. Les outils RH ne sont pas fiables. L’ANCT a prévu d’y remédier dans un délai de 18 mois. Elle tarde tout autant à mettre en place un dialogue de gestion institutionnalisé. De même, la gestion des systèmes d’information présente des lacunes en matière de pilotage stratégique, de formalisation des procédures et de sécurité.

D’un point de vue financier, le budget spécifique de l’ANCT (117 M€ de crédits de paiement exécutés en 2022), ne reflète pas l’intégralité des montants financiers des dispositifs sur lesquels elle intervient, dont le total s’élève à plusieurs milliards d’euros, sans qu’un recensement précis et exhaustif en soit disponible. Cette faible lisibilité reflète la complexité et la diversité des montages financiers des dispositifs nationaux de cohésion des territoires. Dans le cadre de l’exercice de ses missions, l’ANCT ou ses tutelles devraient être en mesure de rendre compte des flux financiers des programmes qu’elle pilote, même s’ils ne transitent pas par son budget et que ne fournit pas le document de politique transversale « aménagement du territoire ».

Le budget spécifique de l’ANCT comprend plus précisément deux catégories de ressources.

Ce sont d’abord les recettes globalisées, s’élevant à 84,5 M€ en 2022. Elles intègrent la subvention pour charges de service public de 59 M€, comprenant à hauteur de 20 M€ les crédits d’ingénierie de l’agence. Ces recettes globalisées sont complétées, en fin d’année et en fonction des besoins, par des conventions de transfert ou des subventions complémentaires versées depuis les programmes 112 et 147 du budget de l’État. Cet ajout en fin d’exercice vide de sens la notion de budget prévisionnel et compromet l’élaboration d’une stratégie financière ou la définition de perspectives pluriannuelles.

Ce sont ensuite les recettes fléchées vers des dispositifs spécifiques, à hauteur de 36,4 M€ en 2022.

Pour cette même année de référence, le total des ressources de l’agence s’élève ainsi à 121 M€, à rapprocher du budget exécuté s’élevant à 117 M€.

En outre, de nouvelles missions sont régulièrement confiées à l’agence, sans que les moyens correspondants, budgétaires comme humains, soient systématiquement prévus. Dans ces conditions, l’ANCT ne s’est, de fait, pas dotée des outils de suivi et d’analyse budgétaire et comptable qui lui permettraient de déterminer avec précision les dépenses et les recettes de chacune de ses missions. Le suivi des restes à payer ou de l’emploi des crédits fléchés devrait être systématique et communiqué par ailleurs au conseil d’administration de l’agence.

Si sa soutenabilité financière à court terme ne pose pas de difficultés. Compte tenu de la trésorerie dégagée lors de sa première année de fonctionnement, l’ANCT dispose d’une faible marge de manoeuvre structurelle, qui confirme la nécessité de disposer d’une analyse de sa situation financière plus précise qu’actuellement.

Les activités immobilières reprises de l’Epareca (établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux) bénéficient du savoir-faire acquis par les équipes de cet établissement, qui propose des solutions aux besoins de revitalisation commerciale pour lesquels il n’existe pas d’offre alternative privée ou semi-publique. Cette activité, qui s’apparente à une activité de promotion et d’investissement en immobilier commercial, explique que l’ANCT soit un établissement public au statut hybride. L’ANCT devrait toutefois être en mesure de déterminer avec précision le résultat de cette activité sur chacune de ses opérations dont l’équilibre économique devrait être apprécié dans une perspective pluriannuelle. Pour cela, elles mériteraient d’être individualisées dans un budget annexe.

L’ANCT a hérité des organismes dont elle est le regroupement de missions de nature très différente. Entre la politique de la ville, le déploiement du numérique, l’aménagement des centres commerciaux, les politiques en faveur de la ruralité ou de la montagne, les synergies restent à construire.

L’offre nouvelle de solutions d’ingénierie « sur mesure », pour répondre aux demandes des élus était une des nouveautés apportées par l’ANCT fortement mise en avant dans sa communication. Elle est matérialisée par une enveloppe spécifique qui s’élevait initialement à 10 M€, et a été portée à 20 M€ en 2021, incluse dans la subvention pour charges de service public. Cette enveloppe recouvre en réalité l’ensemble des dépenses d’ingénierie de l’agence, parmi lesquelles sa participation aux chefs de projet du programme « petites villes de demain » et des dépenses d’accompagnement des autres dispositifs nationaux. La part spécifiquement « sur mesure » s’élève à seulement environ 6 M€ par an. Cette offre est encore mal connue des élus. Le recours qui y est fait repose très largement sur l’implication des services déconcentrés de l’État dans le dispositif.

La création de l’ANCT voulait marquer un renouveau de l’action de l’État pour les villes petites et moyennes et les territoires ruraux. Sa plus-value devait résider dans une nouvelle approche de l’intervention de l’État dans les dispositifs tels qu’Action coeur de villes, Petites villes de demain ou les Maisons France service. Le cadre posé par ces programmes et l’accompagnement proposé sont censés favoriser l’expression de projets de service ou de territoire construits par les collectivités, autour desquels les financements de l’État ou des agences partenaires sont coordonnés. Les premiers résultats obtenus ainsi que l’accueil favorable des élus concernés témoignent de l’intérêt de cette approche, qui devra cependant être confirmée par l’évaluation de ces programmes.

Malgré la brièveté de la période de mise en oeuvre et les difficultés auxquelles l’ANCT a été confrontée, la méthode de co-construction dans un cadre contractuel simplifié a rencontré l’adhésion des collectivités territoriales, même si de nombreuses améliorations restent à concrétiser.

Face à ces attentes réelles, l’ANCT, porteuse d’un renouvellement méthodologique dans leurs relations avec l’État, doit désormais accentuer ses efforts sur la consolidation de son fonctionnement interne et de la gestion des moyens qui lui sont alloués, sur le renforcement de ses partenariats, et sur l’approfondissement de son lien avec ses délégués territoriaux et les territoires dans lesquels elle intervient.

(1) – Les partenaires définis par la loi sont la Banque des territoires, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), l’Agence nationale de l’habitat (Anah), et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

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Audition par la commission des finances du Sénat :

Le 14 février 2024, la commission des finances a entendu Stanislas BOURRON, directeur général de l’ANCT, Catherine DÉMIER, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, Cécile RAQUIN, directrice générale des collectivités locales, pour suite à donner à l’enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l’article 58-2° de la LOLF.

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Télécharger le rapport de la Cour des Comptes

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