Laurent Berger : « La nécessité d’un changement de modèle n’est pas prise en compte »

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Laurent Berger : « La nécessité d’un changement de modèle n’est pas prise en compte » (Le Monde – 26-04-19)

Le secrétaire général de la CFDT est satisfait de constater que le chef de l’Etat a infléchi son discours sur plusieurs dossiers (notamment les réductions d’effectifs dans la fonction publique) mais il regrette le manque d’ambition à propos de la question environnementale.

Comment jugez-vous l’intervention du président de la République ?

Il y a une inflexion dans le discours, avec une forme d’empathie sur les vécus du quotidien. Nous partageons le diagnostic sur les injustices fiscales, sociales, territoriales. Mais sur la question environnementale, ce n’est pas à la hauteur : la nécessité d’un changement de modèle, et même d’une révolution, pour faire face à la transition écologique n’est pas prise en compte. La CFDT sera vigilante sur les moyens mis en œuvre et sur la gouvernance : est-ce que, sur le pacte productif qu’il a annoncé, les organisations syndicales, les ONG, les associations seront parties prenantes des travaux ?

Un conseil de défense écologique a été évoqué…

Il faudra voir si c’est un concept creux ou si cela annonce une mobilisation. Nous attendions des mesures fortes, par exemple sur la rénovation thermique des logements, et je n’ai rien entendu.

Emmanuel Macron a parlé d’une République contractuelle. Cela signifie-t-il qu’il va donner plus de place aux partenaires sociaux ?

Nous avons entendu un appel à se mobiliser sur l’emploi, l’inclusion, l’évolution du travail. Cette conférence de presse ne nous donne pas envie de crier « wouah, c’est génial ! » ou, à l’inverse, de dire « il ne s’est rien passé ». Il s’est passé quelque chose mais ce sont des mots. Nous jugerons aux actes.

Une grande conférence sociale est dans l’air ?

Nous avons compris que c’était dur de parler d’une conférence du « pouvoir de vivre », comme nous le demandions avec 18 autres organisations. Sur les 66 propositions de notre pacte social et écologique, peu ont été cochées. Mais sur plusieurs sujets, il y a des amorces dont nous voulons nous saisir pour voir si elles se concrétisent ou si c’est de la poudre aux yeux.

Est-ce que ça préfigure la reprise d’un dialogue qui avait presque cessé, entre lui et votre organisation ?

Nous ne cherchons pas à occuper une place, mais nous prendrons nos responsabilités. Nous continuons à penser que le moment est grave. Si le changement de cap, qui semble s’amorcer, est confirmé, nous sommes prêts à dire : « Chiche ! On y va. » Avec la volonté de coconstruire des politiques et des actions concrètes. En revanche, si l’intention du gouvernement était de décider de tout et de nous reléguer au rôle de spectateur, nous n’en serions pas.

Quand il dit que les Français travaillent beaucoup moins que les autres en Europe, il a raison ?

C’est faux. S’il est dit que les Français travaillent moins, c’est parce qu’ils ne travaillent pas tous. Le vrai sujet sur le « travailler plus », c’est travailler tous. Nous avons pris acte qu’il n’y a pas de remise en cause des jours fériés, des 35 heures et pas de report de l’âge légal de départ à la retraite. C’est positif, de même que l’idée de créer dans chaque canton une maison des services publics – nous, nous parlons de bouclier des services publics – ou d’envisager d’abandonner l’objectif de baisser de 120 000 les postes de fonctionnaires.

Que pensez-vous de sa volonté de diminuer l’impôt sur le revenu ?

C’est sans doute une bonne nouvelle pour les contribuables qui en bénéficieront. Elle résultera d’une suppression de niches fiscales accordées aux entreprises, ce qui est plutôt intéressant. Mais il manque une mesure sur les très hauts revenus ; la justice fiscale passe aussi par ça. Nous ne voulons pas d’une réduction des prélèvements obligatoires qui se traduirait par l’amputation drastique des moyens donnés aux services publics.

Que vous inspirent ses propos sur les migrants ?

Le fait de placer « ce combat » – selon les termes du président – au même niveau que les périls écologiques nous inquiète. Les enjeux ne sont pas du tout les mêmes : s’agissant de l’environnement, il en va de l’avenir de l’humanité. Sur les migrants, il en va de notre humanité à leur égard.

Globalement, estimez-vous avoir été entendus ?

Nous l’avons été, sur un certain nombre de points, par exemple sur la revalorisation de la carrière des enseignants, les métiers liés à la perte d’autonomie et la reconnaissance des aidants familiaux, ce dont nous nous félicitons. D’autres messages, en revanche, n’ont pas été assez pris en compte. Si son intention de promouvoir une République contractuelle, comme il dit, débouche sur un travail en commun avec les partenaires sociaux, les associations, alors il faudra mettre en œuvre les orientations positives esquissées jeudi et revenir sur ce qui pêche encore dans sa politique – notamment sur l’environnement et la lutte contre la pauvreté.

Son intervention est-elle de nature à faire retomber les tensions qui prévalent depuis le début la mobilisation des « gilets jaunes » ?

Je ne sais pas. En tout cas, elle manifeste un souci d’écoute. Mais il faut lui donner plus de souffle.

Propos recueillis par Michel Noblecourt et Bertrand Bissuel