Futur projet de loi de réforme de la fonction publique, la CFDT s’exprime

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Acteurs publics a interrogé les responsables syndicaux du secteur public sur leurs attentes mais aussi sur leurs inquiétudes quant à la nouvelle grande réforme de la fonction publique annoncée par l’exécutif. Échange aujourd’hui avec Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques.

Mylène Jacquot (CFDT) : “Le mérite est une notion que nous avons du mal à appréhender et à mesurer” à la Une d’Acteurs Publics

Propos recueillis par Bastien Scordia (avant l’annonce de la démission du gouvernement d’Élisabeth Borne)

Quelles sont vos attentes s’agissant du futur projet de loi de réforme de la fonction publique ?

Très clairement, la CFDT ne revendique pas un projet de loi. Ce que nous revendiquons, c’est la prise en compte de la parole des agents, de leurs attentes, avec des réponses satisfaisantes de la part de l’ensemble des employeurs. La priorité qui nous remonte du terrain et de nos équipes, c’est le pouvoir d’achat, les salaires, les perspectives de reconnaissance. Après le conflit de l’année 2023 sur les retraites, les pertes de pouvoir d’achat, de “pouvoir de vivre”, sont bien réelles et concrètes. La CFDT attend donc des négociations – des vraies négociations, comme nous en avons eu sur le télétravail, la complémentaire santé et la prévoyance – sur les mesures salariales, les carrières, le travail (son contenu et son organisation tout au long de vie), l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes… Il faut aussi se donner les moyens de traiter de sujets émergents qui ont des impacts lourds sur le travail, tels que la transformation écologique et l’intelligence artificielle. Enfin, la CFDT appelle de ses vœux d’autres négociations ou concertations sur des mesures d’accompagnement qui font partie de l’attractivité de la fonction publique quand elles n’en restent pas au stade de promesses : la formation professionnelle et la reconnaissance des qualifications acquises, l’action sociale, le logement des agents publics… et évidemment le renforcement du dialogue social et des moyens indispensables à sa qualité. Nous souhaitions un accord de méthode sur l’agenda social. Cela aurait été une première, engageante pour l’ensemble des interlocuteurs, dont le gouvernement et les employeurs. Les échanges ont été utiles, mais il n’a pas été possible d’aller au bout des discussions, et la CFDT le regrette d’autant plus que désormais, c’est à nouveau le gouvernement qui a la main sur l’agenda. Sur le calendrier, nous maintenons qu’un projet de loi aurait eu du sens à l’issue de négociations conclues par des accords majoritaires qui auraient pu nécessiter un texte législatif. On aurait vu là un signal fort de respect des organisations représentatives des agents, et donc des agents eux-mêmes. Nous le redirons au ministre en espérant être entendus.

Comment, selon vous, rendre la fonction publique plus attractive ? 

L’urgence est de toute évidence celle des salaires. Les mesures de 2022 et 2023 ont été réelles, même si nous les avons considérées comme insuffisantes, particulièrement en 2023. Nous avons alerté le gouvernement : en l’absence d’ouverture de perspectives rapides, une journée de mobilisation est clairement envisagée au mois de mars. Le discours qui table sur un ralentissement de l’inflation – qui reste très au-dessus de celle des années 2010-2020 – renvoie le message que les employeurs ne se soucient que trop peu de reconnaître les agents en place et ne se donnent pas non plus les moyens de pourvoir les postes vacants, qui se comptent par milliers. Les agents publics sont informés, ils savent que leurs salaires ont nettement moins augmenté que ceux des salariés du privé. Et quand des jeunes ont à choisir entre deux emplois en début de vie professionnelle, le salaire et les dispositifs d’accompagnement pèsent dans la balance. L’intérêt, pourtant réel, pour un engagement dans les services publics ne suffit plus aujourd’hui pour recruter. L’autre urgence, c’est celle du sens du travail, des marges de confiance et d’autonomie, et aussi celle des conditions d’exercice. Car le salaire n’est pas la réponse à toutes les interrogations, notamment dans certains secteurs comme ceux de l’hôpital, de l’éducation, de la sécurité, du social…

L’intérêt, pourtant réel, pour un engagement dans les services publics ne suffit plus aujourd’hui pour recruter.

Avec sa nouvelle réforme, le gouvernement compte notamment “valoriser l’engagement des agents publics” en développant la rémunération dite au mérite dans la fonction publique. La rémunération au mérite peut-elle redonner du sens à la mission des agents ? Cette logique devrait-elle, selon vous, être individuelle ou collective ?

La CFDT n’a jamais été opposée à la reconnaissance de l’engagement professionnel des agents ni à la reconnaissance de leurs qualifications ni à la reconnaissance de leurs responsabilités. Le mérite, notion à la fois morale et très individuelle, très marqué idéologiquement (y compris de manière fluctuante au fil du temps), est une notion que nous avons du mal à appréhender et à mesurer et surtout, dont on a du mal à jauger objectivement du lien avec le travail. Des dispositifs existent déjà, le Rifseep [régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l‘engagement professionnel, ndlr] étant composé de deux parts dont l’une est individualisée et liée à l’évaluation de l’agent. Ce dispositif peut certainement être amélioré, mais cette amélioration passe d’abord par une révision de l’exercice d’évaluation lui-même. Quant à la qualité du travail et du service rendu, cela passe par la prise en compte du collectif. Cet aspect est un chantier à ouvrir. Mais la CFDT alerte immédiatement : ce point n’est pas dans les attentes prioritaires des agents, et la question des moyens budgétaires reste entière. Les quelques tentatives et expérimentations qui ont été faites se sont vite heurtées à la réalité, voire sont restées lettre morte. Pourtant, les textes existent, ce qui conforte nos interrogations sur la nécessité et les intentions d’une nouvelle loi.

En 2019, tous les syndicats avaient pointé un manque de dialogue sur la loi de transformation. À quelles conditions jugeriez-vous cette fois la méthode satisfaisante ?

Nous pourrions juger la méthode satisfaisante si le calendrier s’appuyait sur une logique de dialogue social, sans rien contester des prérogatives parlementaires. Commencer par se mettre d’accord sur les objectifs, sur un agenda social, mener les négociations attendues par les agents et leurs organisations représentatives. Et seulement à partir de là, mettre en œuvre ces accords avec les déclinaisons législatives éventuellement nécessaires. Mais le calendrier annoncé à ce jour – sera-t-il tenu ? – inquiète : une réunion bilatérale de présentation du projet et de recueil de nos réactions, puis le circuit de tout projet de loi avant son inscription à l’ordre du jour parlementaire avant l’été ? Quelle place pour le dialogue social et pour une réelle articulation entre démocraties sociale et politique ? Et surtout, après le parcours édifiant du projet de loi “Immigration”, nos inquiétudes sont réelles sur ce qu’il restera de ce projet, sur le mal qu’il fera aux fonctionnaires, et à la fonction publique, qui n’ont pas besoin d’être ainsi transformés en enjeu de bataille politique. Ni le service public – notre bien commun – ni les usagers ni les agents, ni même les employeurs ne méritent ce risque-là. 

par Bastien Scordia

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