Temps de travail : les Français sont-ils fainéants ?

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Sous prétexte que les Français travailleraient moins que leurs voisins européens, François Bayrou a proposé cet été de supprimer deux jours fériés. Désormais enterrée, cette mesure a particulièrement ulcéré les Français, qui n’ont pas à rougir de leur temps de travail. Décryptage.

« L’une des clés du redressement de l’économie du pays réside dans la durée du travail », argumentait François Bayrou lors de la présentation de son plan d’économie, en juillet 2025, arguant que la suppression de deux jours fériés permettrait à la France de « gagner en productivité ». Derrière cette affirmation un peu rapide (le lien entre productivité et temps de travail est plus compliqué), on entend aussi une petite musique très présente dans les sphères politiques et patronales : les Français travailleraient moins que leurs collègues des autres pays industrialisés. D’où vient ce cliché ?

En 2024, une étude de l’OCDE estimait le temps de travail par habitant à 666 heures en France, contre 770 heures pour les Européens. Reprise telle quelle, cette moyenne est fallacieuse. Elle est calculée par rapport à la population globale, et inclut également les personnes inactives : enfants, jeunes et retraités. La démographie de chaque pays influe donc forcément sur ce résultat. En France, il se trouve que le nombre d’enfants est plus élevé que dans la plupart des pays de l’Union européenne (UE).

Ensuite, les taux d’emploi des jeunes et des seniors sont plus bas chez nous que chez nos voisins, ramenant le taux d’emploi de la population en âge de travailler à 68,5 % en moyenne, derrière la Suisse (80,7 %), le Royaume-Uni (75,1 %), le Portugal (72,4 %) et le Luxembourg (70,3 %).

Enfin, le nombre d’heures travaillées dépend de la nature des emplois : avec l’explosion des temps partiels, dont le nombre a triplé depuis 1975 en France, le nombre d’heures travaillées est forcément moindre pour une même population d’actifs. Selon la CFDT, la suppression de jours fériés ne peut en rien constituer une solution au chômage structurel et aux temps partiels subis.

Le casse-tête du temps de travail individuel

L’idée qu’il faut remettre la France au travail perdure néanmoins, vingt-cinq ans après le passage aux 35 heures. C’est une opinion présente dans le débat public mais également partagée par une partie de la population.

En 2024, une étude de l’Institut Montaigne indiquait ainsi que 39 % des Français « pensent que l’on ne travaille pas assez dans notre pays ». Or, si l’on se réfère à un autre calcul de l’OCDE, un salarié français à temps complet travaille en moyenne 38,7 heures par semaine.

C’est plus que 35 heures. De son côté, Eurostat, l’office de l’information statistique européen, comptabilise 36 heures par semaine en moyenne pour l’ensemble des personnes occupées dans l’UE (dont 33,9 heures au Danemark, en Autriche et en Allemagne, et 32 heures aux Pays-Bas).

Finalement, comme le relève le service statistique (Dares) du ministère du Travail(*) lui-même : « La mesure de la durée individuelle du travail des actifs est un sujet complexe, du fait de la multiplicité des concepts mobilisables et des différentes sources disponibles. » Il a donc opté pour des données « complémentaires », en s’appuyant sur les enquêtes de l’Insee : une durée « effective » qui lisse le temps travaillé sur l’année (en tenant compte des jours fériés, des congés et des pratiques des entreprises en matière d’aménagement du temps de travail) ; et une durée hebdomadaire « habituelle » correspondant à un emploi

à temps plein pour une semaine « normale » (sans congés ni RTT). À ce calcul, il faut ajouter les heures des travailleurs indépendants (47,2 heures par semaine en moyenne) et les heures supplémentaires déclarées (103 heures en moyenne par salarié en 2024, dans le secteur privé). Et le casse-tête se prolonge encore avec la prise en compte des heures supplémentaires non déclarées – et invisibilisées –, des salariés au forfait jours.

Des millions d’heures supplémentaires non comptabilisées

Depuis la création du forfait jours en 2000, le travail des cadres (catégorie professionnelle désormais majoritaire dans notre pays) n’est pas calculé en nombre d’heures par semaine.

Selon la dernière enquête Emploi de l’Insee, les cadres travaillent en moyenne 43 heures par semaine. Pour finir, se contenter d’affirmer que les Français ne travaillent pas assez, c’est aussi omettre le rôle des employeurs dans cette équation : « Pointer du doigt les arrêts maladie et la hausse de l’absentéisme, sous-estimer la part des temps partiels imposés, les défaillances d’entreprises qui n’ont jamais été aussi importantes qu’en ce moment, l’organisation du travail selon les secteurs d’activité, c’est déconsidérer les travailleurs d’une part et c’est se décorréler de la responsabilité des entreprises d’autre part », recadre Isabelle Mercier, secrétaire nationale de la CFDT chargée des questions liées au travail.

Ainsi, il n’y a pas plus de lien entre un temps de travail qui serait augmenté et la diminution du chômage, qu’entre un temps de travail qui serait augmenté et l’augmentation de la productivité. Car sans un travail de qualité, peut-on dire que travailler plus nous rendra plus productifs ? Est-on plus efficace au bout de la septième heure de travail qu’à la fin de la deuxième ?

Plutôt que la question de la durée du travail, ce sont celles de la qualité du travail proposé et de sa rémunération, de la réindustrialisation de la France, de la stratégie des entreprises et celle de l’État employeur qui devraient être posées .

* Dares, « La durée individuelle du travail », 15 mai 2025.

Par Claire Nillus
Journaliste

Quel est l’impact des jours fériés sur la durée de travail ?

Il est difficile de tirer des conclusions en comparant le nombre de jours fériés et de congés payés. Avec onze jours fériés par an, la France se situe sous la moyenne des pays de l’Union européenne, qui est de 12,07 jours annuels.

L’Allemagne, par exemple, compte neuf jours fériés légaux par an, au niveau fédéral. Mais chaque Land étant libre d’attribuer des jours supplémentaires, les Allemands ont en réalité entre dix et quatorze jours fériés par an en moyenne.

Dans la majorité des pays européens, les salariés ont quatre semaines de congés payés (16 des 27 États membres). Comme l’Autriche, le Danemark et la Suède, la France accorde cinq semaines de congés payés légaux.

Si les Pays-Bas ne comptent que vingt-neuf jours fériés et congés payés au total, ils affichent en revanche le temps de travail hebdomadaire le plus faible des pays de l’UE avec 32,1 heures par semaine.

 Source : Eures (EURopean Employment Services).

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D’après l’article initialement publié par CFDT Magazine
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Pour mémoire :

Notre article du 29-09-25 : Non, les Français ne sont pas des fainéants !