“Un effort partagé”… mais par qui ?

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Au lendemain des annonces chocs du Premier ministre – dont la suppression de deux jours fériés et une nouvelle réforme de l’assurance chômage, pour parvenir à une économie de 44 milliards d’euros en 2026 –, la CFDT dénonce une dichotomie entre des travailleurs pénalisés et des entreprises épargnées. “Le monde du travail ne peut pas accepter le budget tel qu’il a été présenté”, explique Marylise Léon.

Le big bang social annoncé par François Bayrou lors de son « moment de vérité » est-il un coup de bluff ou une réelle menace ? C’est la question que tout le monde se pose au lendemain de l’allocution du Premier ministre, venu présenter les orientations du budget 2026… dont l’un des axes consiste donc à « réenchanter le travail ». Jugeant qu’il faut « travailler plus […] pour produire plus et pour que l’activité du pays dans son ensemble soit plus importante dans l’année », le Premier ministre veut supprimer deux jours fériés (le lundi de Pâques et le 8 mai), qui deviendraient deux jours payés mais travaillés par les salariés du public et du privé.

Symboliquement, la proposition de cibler le 8 mai, jour de la victoire contre le nazisme, dans le contexte politique actuel, laisse un goût amer. Mais au-delà, cette suppression revient à expliquer aux travailleurs qu’ils vont travailler deux jours de plus (sans gagner plus) quand, pour beaucoup d’entre eux, ces jours fériés offraient un répit, insiste la CFDT. « On attend des responsables politiques un discours de vérité […] dire que les Français travaillent moins que les autres est factuellement faux, sinon à considérer l’ensemble de la population, enfants compris, développait Marylise Léon sur France Inter. Faire peser sur les seuls travailleurs le sursaut productif sans s’attaquer sérieusement aux taux d’emploi des seniors et des jeunes est inacceptable. »

“Un jour sans fin”

Car sur le volet travail, le Premier ministre estime lui aussi que « l’accent doit être mis sur les jeunes et les seniors pour qui les taux d’emploi sont particulièrement faibles en comparaison avec nos voisins européens ». Mais aux mêmes maux les uns et les autres n’apportent pas les mêmes remèdes. Et tandis que la CFDT plaide pour « travailler tous, travailler mieux », le gouvernement continue de taper sur les chômeurs, une sorte de lubie obsessionnelle des gouvernements qui se sont succédé depuis 2017.

Dans les prochains jours, François Bayrou devrait donc proposer aux partenaires sociaux de remettre l’ouvrage sur le métier en ouvrant une énième négociation relative à l’assurance chômage… alors que la dernière convention, conclue à l’automne 2024, n’est appliquée que depuis 90 jours ! « Un non-sens, fustige la CFDT. Durcir les conditions d’accès et réduire le montant des allocations ne font certainement pas baisser le chômage mais augmentent la pauvreté et les inégalités. » Concrètement, l’exécutif souhaite réviser « l’éligibilité, qui reste plus souple qu’ailleurs en Europe » ; « la durée maximale d’indemnisation » et « les conditions d’indemnisation de la rupture conventionnelle », avance la ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet. Selon les organisations syndicales, ce nouveau tour de vis ressemble à s’y méprendre au projet de « réforme Attal » – que celui-ci avait dû abandonner du fait de la dissolution de l’Assemblée.

Bienvenue au musée des horreurs !

En parallèle, le gouvernement souhaite que les partenaires sociaux ouvrent une deuxième négociation sur « la modernisation du marché de l’emploi et l’amélioration de la qualité du travail ». Un périmètre large si l’on en croit les précisions apportées par la ministre du Travail, ce qui pourrait conduire in fine à une révision des ordonnances de 2017… « La perspective d’une nouvelle réforme du code du travail avec pour principal objectif de lever les obstacles sur le marché du travail signifie, en clair, déréglementer et accentuer la flexibilité. Une nouvelle impasse », estime Marylise Léon.

Parmi les sujets qui seront soumis à la négociation, une piste avancée par l’exécutif fait bondir le camp syndical : offrir aux salariés la possibilité de monétiser leur cinquième semaine de congés payés en vue de dégager du pouvoir d’achat… « Le sujet, c’est le partage de la valeur, et les rémunérations, c’est le sujet numéro un. Ce n’est pas au salarié de se payer de la marge de manœuvre en rognant sur ses congés », s’insurge Marylise Léon, qui voit dans cette idée un « musée des horreurs ».

“Un effort partagé”… mais par qui ?

Toutes ces annonces posent une autre question : celle de l’équité des efforts demandés. Une nouvelle fois, le gouvernement fait le choix d’épargner les entreprises et ferme la porte à l’instauration d’un impôt minimal lié au patrimoine des plus riches, sur le modèle de la « taxe Zucman », estimant que de telles mesures, « injustes, nuiraient à l’économie et à l’attractivité du pays ». Rejetée par le Sénat en juin dernier, la proposition de loi inspirée par Gabriel Zucman consistait en effet à imposer à hauteur de 2 % le patrimoine des « centmillionnaires » (Ceux dont la fortune atteint au moins la somme de 100 millions d’euros, soit 1 800 personnes en France). Cette mesure aurait permis de rapporter environ 20 milliards d’euros, soit la moitié des efforts budgétaires réclamés pour 2026. À ce gain substantiel de recettes le gouvernement a donc préféré reconduire la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, mise en place en 2025, et permettant d’engranger entre 2 et 3 milliards d’euros.

Pas question non plus de toucher aux 211 milliards d’euros d’aides versées aux entreprises chaque année dans le flou le plus total, ce qui, pour la CFDT, pose un gros problème démocratique. Selon Marylise Léon, il faut « faire payer les entreprises qui ne jouent pas le jeu, qui ne sentent pas comptables car il n’y a pas d’évaluation ». Dans son viseur, figure notamment le crédit d’impôt recherche (CIR), que le gouvernement ne veut pas faire évoluer. « On sait que des entreprises en bénéficient mais ne font pas de recherche. Elles doivent rendre des comptes, ce sont 211 milliards d’euros, il faut expliquer ce qu’elles font des finances publiques. »

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Chaude rentrée sociale en perspective

Refusant une nécessaire réforme fiscale, le gouvernement, par sa vision « paresseuse et passéiste, [fait une nouvelle fois] peser les efforts sur les seuls travailleurs, dans un contexte social difficile et politiquement explosif ». Alors que s’ouvre le temps des discussions politiques quant aux possibilités d’amender le budget avant son vote au Parlement, la CFDT invite les organisations syndicales et patronales à se réunir rapidement afin de débattre des réelles priorités du monde du travail. De leur côté, les numeros un des organisations syndicales représentatives se réuniront d’ici le 25 juillet pour « partager leur analyse de la situation » et réfléchir aux modalités d’une riposte coordonnée. Une nouvelle fois, la rentrée sociale s’annonce chaude !

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La double peine pour les retraités

Conséquence directe de l’année blanche annoncée par le Premier ministre, qui vise entre autres les minima sociaux comme le RSA et l’AAH (allocation aux adultes handicapés), les pensions des 17 millions de retraités devraient rester au niveau de 2025 puisque désindexées de l’inflation. Ce qui, selon la CFDT Retraités, constitue une perte de pouvoir d’achat pénalisant davantage les basses pensions. « Les deux millions de retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté seront plus touchés alors que la lutte contre la pauvreté est une priorité gouvernementale », explique Benoît Prince, secrétaire général de la CFDT Retraités.

En outre, le gouvernement a annoncé le remplacement de l’abattement forfaitaire de 10 %, dont bénéficient aussi les retraités, par un forfait annuel égal à 2 000 euros. Cela entraînera mécaniquement une hausse de la fiscalité pour un très grand nombre de retraités qui pouvaient bénéficier de l’abattement jusqu’à un plafond de 4 123 euros par foyer fiscal. Le forfait annuel correspond, selon les calculs de la CFDT Retraités, aux revenus d’un couple de retraités dont chacune des pensions s’élève à 850 euros – donc loin du niveau de la pension moyenne aujourd’hui…

 

Par Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo
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Pour mémoire : 

Notre article du 18-07-25 : 44 milliards d’euros d’efforts … 

Notre article du 17-07-25 : 44 milliards d’économies : la Fonction publique en première ligne du « plan social invisible » du gouvernement

Notre article du 16-07-25 : 211 milliards d’euros d’aides versées en 2023 aux entreprises sans transparence ni suivi

Notre article du 16-07-25 : Allocution du Premier Ministre : l’heure de vérité, les efforts ne seront pas partagés ! 

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