Fonctions publiques : entre colère et inquiétude

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Les agents ont vécu comme une marque de mépris l’absence de ministre de la Fonction publique au sein du nouveau gouvernement. Ces 5,6 millions de travailleurs n’ont plus d’interlocuteur alors que les dossiers urgents s’accumulent avec, en haut de la pile, la question salariale. D’ici à la fin du mois, une intersyndicale doit décider d’une mobilisation si l’exécutif continue de faire la sourde oreille.

Une claque, une marque de mépris, un signe inquiétant, du jamais vu… À l’annonce du gouvernement Attal, l’absence de ministre dédié à la fonction publique n’est pas passée inaperçue. Le Président a beau faire savoir qu’un ministre délégué ou un secrétaire d’État sera nommé dans les dix jours, le message adressé aux fonctionnaires par le nouvel exécutif à travers cette non-nomination ne passe pas. « Le Président parle d’une future loi historique sur la fonction publique au premier trimestre, mais on commence l’année sans interlocuteur. Comment faut-il le prendre ? », résume Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT-Fonctions publiques.

À quand les mesures en matière de pouvoir d’achat ?

Loin d’être anecdotique, cette absence de ministre de plein exercice suscite une forte inquiétude à un moment où les organisations syndicales attendent des mesures fortes en matière de pouvoir d’achat qui permettraient de mieux faire face à l’inflation. Les dernières hausses du point d’indice des fonctionnaires (3,5 % en juillet 2022 et 1,5 % en juillet 2023) sont loin d’être à la hauteur. La perte de pouvoir d’achat des agents est donc importante. À l’instar de ce qui se passe dans le secteur privé, on assiste à une smicardisation des traitements : de plus en plus d’agents voient leur rémunération rattrapée par la hausse du Smic. « L’État employeur n’est pas à la hauteur, souligne Isabelle Mercier, secrétaire nationale en charge des fonctions publiques. Le niveau des dotations que l’État accorde aux collectivités locales ne leur laisse que peu de latitude pour rémunérer correctement leur personnel. »

Selon la CFDT, il est impératif que l’État annonce une revalorisation générale des traitements. L’année 2024 ne peut pas être une année blanche alors que l’inflation est toujours forte. « Or, actuellement, les discussions sont au point mort, explique Mylène Jacquot. Le Président a évoqué, lors de sa grande conférence de presse, qu’il allait mettre en place une rémunération au mérite tandis que les organisations syndicales attendent une mesure générale pour tous les agents. » Cette absence de dialogue devient si problématique que les organisations syndicales ont prévu de se réunir à la fin du mois pour décider d’une possible mobilisation en mars.

60 000 postes vacants faute de candidats

Outre cette mesure générale sur les salaires, la CFDT attend que s’engagent enfin des discussions approfondies à propos des carrières et rémunérations. Un agenda social avait déjà été esquissé avec le précédent ministre en vue de cette loi « historique », reste à savoir si les discussions vont reprendre avec les mêmes acteurs ou s’il faudra repartir de zéro. « Le timing est de plus en plus inquiétant, analyse Mylène Jacquot. Le risque est de voir l’exécutif légiférer dans la précipitation, sans prendre le temps de la concertation avec les organisations syndicales. »

À l’heure où les fonctions publiques souffrent d’un manque d’attractivité, où 60 000 postes sont actuellement vacants faute de candidats, les agents attendent un plan ambitieux. Un plan à même de répondre à leurs attentes en termes de déroulement de carrière, de sens de leur métier et de service rendu à la population. « Il faut sortir d’une simple gestion budgétaire à court terme, insiste Mylène Jacquot. Les agents en poste comme les jeunes qui s’apprêtent à rejoindre la fonction publique doivent pouvoir se projeter à long terme. »

Avec un taux de chômage historiquement bas dans notre pays, la fonction publique est confrontée, en matière de recrutement, à des tensions qu’elle ne connaissait pas jusqu’à présent. Dans certains métiers, la situation devient extrêmement problématique – comme à l’Éducation nationale, où la sortie de la nouvelle ministre au sujet des professeurs non remplacés a mis le feu aux poudres (lire l’encadré). « Nous avons toujours eu du mal à recruter dans certains métiers mais c’est la première fois que nous sommes confrontés à une telle pénurie, déplore Mylène Jacquot. Longtemps cachée par un chômage élevé qui poussait les candidats vers les concours publics, la question de l’attractivité des métiers publics est aujourd’hui centrale. Le gouvernement doit l’entendre. »

Une fonction publique fragilisée

Les agents ont aujourd’hui le sentiment de ne pas être reconnus dans leur métier et leur mission. L’absence de ministre a finalement agi comme un révélateur. « Où est passée la fonction publique ? renchérit Ingrid Clément, secrétaire générale de la CFDT-Interco (Intérieur, Justice, Affaires étrangères et collectivités locales). Les agents aiment leur métier, aiment le service public et répondent présent quand on a besoin d’eux. En retour, ils attendent de la considération. Les primes individuelles au mérite ne peuvent être une réponse. »

Secrétaire confédérale chargée des fonctions publiques à la Confédération, Nouria Narrimane Rebotti résume le sentiment général. « En ce début d’année, les fonctionnaires ont le sentiment d’être une nouvelle fois la cinquième roue du carrosse, de ne jamais être une priorité. La fonction publique, à laquelle sont attachés tous les Français, est aujourd’hui fragilisée. »

Par Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

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Éducation nationale : une polémique insupportable 

Les jours passent mais la polémique ne faiblit pas. Les déclarations d’Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, au sujet des « paquets d’heures non remplacées » dans le public – et donc le prétendu motif qui l’aurait conduite à scolariser ses enfants dans le privé –, ont été vécues comme un affront par la majorité des enseignants. « Les réactions de nos adhérents ont été extrêmement virulentes, souligne Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT. Plusieurs d’entre eux demandaient des excuses publiques. »

En plus du fait que de récentes études montrent que les enseignants font partie des professionnels plutôt moins absents que la moyenne en France, ces propos ont fait ressurgir un mal-être autour de la question du remplacement, qui empoisonne la vie des enseignants alors qu’ils n’en sont pas responsables. « Dans le premier degré, les recrutements prévus en 2016 pour renforcer les remplacements ont été absorbés par les classes dédoublées et la capacité de remplacement a continué de se dégrader, explique Catherine Nave-Bekhti. Dans le second degré, il y a des pénuries de professeurs dans certaines matières qui s’accompagnent d’une gestion des professeurs contractuels parfois défaillante. »

Résultat, les enseignants en poste ne sont souvent pas remplacés lorsqu’ils tombent malades et se voient privés de formation continue. De plus en plus – sur décision de Gabriel Attal lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale –, on leur propose des formations en ligne après leur journée de cours. « Le sujet est particulièrement sensible et opaque, renchérit la secrétaire générale du Sgen-CFDT. Nous n’avons pas d’information suffisante sur les différents types d’absences (maladie, congé maternité, formation, etc.) et nous ne savons pas où les absences ne sont pas remplacées. Il faut absolument que nous gagnions en transparence pour que le système gagne en justice et pour que puissent être construites des politiques efficaces. »

Outre la question du remplacement, les propos de la ministre ont ravivé une forme de guerre scolaire stérile entre le public et le privé. La FEP-CFDT, première organisation syndicale dans l’enseignement privé sous contrat, a d’ailleurs dénoncé les propos blessants de la ministre de l’Éducation nationale et apporté son soutien aux collègues du public.

Par ailleurs, les deux fédérations CFDT du public et du privé (Sgen et FEP) rappellent qu’il est urgent de s’attaquer à la question de la mixité sociale dans l’ensemble des établissements scolaires, qu’ils soient publics ou privé. Et ainsi éviter une forme d’entre-soi symbolisée par le très conservateur collège Stanislas (Paris 6e). « Nos deux fédérations sont favorables à une modulation des dotations aux établissements en fonction des efforts réalisés en matière de mixité sociale », rappelle Laurent Lamberdière, secrétaire général de la FEP-CFDT. Enfin, rappelons que l’ancien ministre Pap Ndiaye avait tenté de s’attaquer au problème mais s’était vu obliger de renoncer après s’être fait désavouer par le président de la République.

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