Intelligence artificielle et égalité professionnelle dans la fonction publique : la CFDT engage le dialogue
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Une première réunion du groupe de travail (GT) dédié à l’égalité professionnelle et à l’intelligence artificielle s’est tenue mercredi 4 juin 2025, sous la présidence de François Charmont, directeur général adjoint de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).
Synthèse de la réunion :
L’intelligence artificielle (IA), un sujet structurant, pas accessoire
En ouverture de ce groupe de travail, une présentation générale du Conseil national du numérique intitulée « Qu’est-ce que l’IA ? De quoi parle-t-on ? » a permis de poser les termes du débat, sans toutefois aborder concrètement les travaux engagés par la DGAFP qui devront faire l’objet d’une future réunion.
La CFDT a profité de cette première rencontre pour affirmer clairement sa position : non, les syndicats ne sont pas rétifs à l’intelligence artificielle. Non, la CFDT ne fait pas barrage à l’innovation. Mais elle exige un déploiement régulé, éthique, et centré sur le progrès partagé.
Des enjeux multiples : travail, éthique, égalité, environnement
Les échanges ont permis d’identifier les nombreuses thématiques impactées par les systèmes d’intelligence artificielle (SIA) dans la fonction publique : évolution des métiers, transformation des conditions de travail, sécurité des données, environnement, souveraineté technologique, respect des droits des agents et bien sûr, égalité professionnelle.
Dans sa déclaration, la CFDT a alerté sur les effets de bord d’une transformation numérique insuffisamment régulée. Elle appelle à un accord-cadre sur l’IA publique et à la création d’un registre des outils d’IA dans les instances de dialogue social (CSA, CST, CSE), pour garantir la transparence et permettre un suivi rigoureux des projets.
L’égalité professionnelle : vigilance sur les angles morts du numérique
Sur le versant de l’égalité professionnelle, la CFDT a insisté sur les angles morts de la transformation numérique, en particulier dans la filière numérique. De nombreux travaux montrent que l’introduction de nouveaux outils, lorsqu’elle ignore les usages réels du travail et la sur-représentation des femmes dans les métiers du numérique invisibilisés (annotatrices ou « éleveuses de bot« ) peut aggraver les inégalités.
L’étude de Camille Girard à la Cour de cassation, évoquée en séance, a illustré ce risque d’invisibilisation des savoir-faire et des métiers genrés. Une vigilance forte est donc attendue dans la conduite des projets IA.
Une démarche à construire dans la durée
La CFDT a salué la tenue de ce groupe de travail, tout en regrettant qu’il n’ait pas été convoqué plus tôt, alors que les projets d’IA se développent depuis de nombreuses années dans les administrations. Elle a rappelé la nécessité d’une stratégie construite collectivement, s’appuyant sur les agents, leurs compétences, et sur un dialogue social sincère.
Elle a également souligné que l’IA n’est pas neutre écologiquement et qu’un équilibre doit être trouvé entre innovations utiles et impact environnemental. Enfin, elle a rappelé que l’attractivité de l’emploi public passe aussi par une politique salariale à la hauteur des enjeux, avec ou sans intelligence artificielle.
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Le compte-rendu complet :
La réunion était présidée par François CHARMONT DGAFP Adjoint, secondé par Madame Mathilde ICARD, cheffe de service à la DGAFP.
Organisations syndicales présentes : CGT, FO, CFDT, UNSA, FSU, CFE-CGC, FAFPT.
Employeurs : employeurs territoriaux. FPH
Administrations : DIESE, DGOS, DGCL
Introduction
François CHARMONT (DGAFP) rappelle en introduction que l’objectif de ce premier groupe de travail (GT) est d’ouvrir la réflexion « sans stress » : il ne s’agit pas aujourd’hui de tout décider ni de tout régler.
Le contexte est marqué par une actualité dense autour de l’intelligence artificielle (IA), avec notamment la tenue prochaine d’un salon technologique dans lequel le gouvernement est fortement impliqué. La forme que prendra la suite des travaux reste à définir.
En interne, l’IA peut parfois sembler lointaine, mais ce n’est plus le cas. Elle est déjà une réalité dans certaines administrations et services publics, où elle est utilisée de manière concrète. De nombreux agents y ont recours, notamment via des outils accessibles gratuitement.
Les organisations syndicales ont elles aussi investi le sujet depuis un certain temps. Il s’agit d’un domaine complexe, en constante évolution. Aujourd’hui, l’IA – et particulièrement les IA génératives – représente un enjeu central.
L’IA peut constituer une opportunité pour améliorer les processus, faciliter le travail des agents et rehausser la qualité du service rendu, par exemple dans les fonctions d’accueil et de renseignement.
Mais elle peut aussi être source de tensions et de risques qu’il est essentiel d’identifier pour mieux les anticiper ou, si possible, les atténuer : risques de biais, enjeux budgétaires, environnementaux, questions de sécurité, de souveraineté sur les données, les outils et les infrastructures critiques pour la France.
Les impacts sur le travail sont bien réels, mais très contrastés : ils concernent à la fois le contenu du travail et sa qualité, les formes d’expertise mobilisées, les processus d’apprentissage (y compris dans l’éducation), la conservation et la transmission des savoirs, ainsi que les relations humaines.
Ils interrogent aussi le sens du travail, la reconnaissance, l’autonomie, et touchent tous les environnements professionnels – y compris ceux impliquant des partenaires privés.
L’IA soulève également la question de la productivité : si elle permet de libérer du temps, il faut s’interroger sur ce que l’on en fait. Enfin, elle a des incidences sur les conditions de travail, notamment en matière de risques psychosociaux (RPS).
À la DGAFP, l’enjeu est d’incarner un service public exemplaire dans son usage de l’IA.
Cela suppose une approche fondée sur l’éthique, la transparence, la responsabilité, la sécurité, et avant tout centrée sur l’humain. Il s’agit de s’appuyer sur les valeurs du service public – y compris celles portées par le statut – pour construire une stratégie cohérente.
L’IA pour l’IA n’a pas de sens : les outils qui seront développés à court ou moyen terme doivent avant tout être utiles aux agents et aux usagers. La démarche doit partir du terrain, des besoins concrets, du travail réel dans les administrations, là où l’IA peut faire sens.
L’IA ne doit pas rester l’affaire des seuls experts du numérique. Elle doit mobiliser l’ensemble des parties prenantes à chaque étape de la décision, faute de quoi la démarche échouera. Cela implique un accompagnement adapté, de la formation, et la préservation des compétences.
En conclusion, l’IA est un sujet à intégrer pleinement dans le dialogue social. La question se pose donc de la forme que prendra la poursuite de cette réflexion au-delà de ce premier GT, y compris en matière de formation des participants.
Les enjeux d’acculturation et de formation sont majeurs : il faut inscrire la réflexion dans la durée pour ne pas se laisser dépasser par le rythme de développement des IA. On ne pourra pas traiter tous les usages et toutes les problématiques d’un seul coup.
L’IA suscite un intérêt particulier du côté des ressources humaines, domaine transversal par excellence. L’outillage que l’IA rend possible appelle une transformation collective à anticiper.
La DGAFP a publié l’an dernier un dossier sur le sujet dans la fonction publique de l’État. Ce travail s’inscrit en cohérence avec la stratégie numérique de l’État, afin de garantir un déploiement fondé sur la confiance. Il s’aligne également sur les cadres définis au niveau européen.
Si les travaux sont pour l’instant centrés sur la FPE, des réflexions sont également en cours sur les autres versants de la fonction publique, dans un objectif de cohérence globale.
À noter enfin la présentation lors de cette séance de la secrétaire générale adjointe du Conseil national du numérique d’un tour d’horizon sur l’IA, ainsi que la présentation par la DGAFP de ses travaux et des cadres de référence dans lesquels ils s’inscrivent.
Objectifs
L’objectif de ce premier groupe de travail (GT) est d’ouvrir la réflexion « sans stress ».
Positionnements CFDT
Dans un interview à l’AEF la semaine dernière, notre ministre Marcangeli nous explique que « les syndicats » seraient « rétifs » à l’IA ! Dommage qu’un ministre se laisse aller à cette facilité, surtout quand elle travestit la réalité.
Non, les syndicats ne forment pas un bloc homogène et conservateur. Et non, la CFDT n’est pas opposée à l’innovation.
Elle est même souvent porteuse d’innovation, à condition que celle-ci serve le progrès partagé, la qualité du service public, et l’amélioration des conditions de travail des agents.
Depuis longtemps, nous alertons : l’intelligence artificielle n’est pas un simple outil technique qu’on pourrait introduire à la marge du dialogue social. C’est un vecteur de transformation majeur, aux conséquences importante sur :
- l’organisation du travail dans les services,
- les compétences attendues des agents,
- la chaîne de responsabilité,
- la gestion des données et leur sécurisation,
- l’équité d’accès aux services publics,
- la gestion prévisionnelle de nos effectifs,
- la transparence des décisions administratives,
- l’environnement,
- et l’égalité professionnelle.
Sur ces points, nous assistons à la poursuite d’un déploiement très progressif et inégal des Systèmes d’Intelligence Artificielle (SIA) au sein de nos administrations. C’est un process engagé depuis de nombreuses années, souvent sous couvert d’expérimentation, rarement concerté, ce processus varie considérablement d’une administration à l’autre. Les projets menés dans nos administrations, qu’il s’agisse de traitement automatisé de documents, de recours à des chatbots, ou de projets algorithmes d’aide à la décision, posent des questions essentielles de méthode et de finalité.
Vous nous soumettez aujourd’hui une liste de cas d’usages jugés “particulièrement souhaitables” et d’autres “envisageables sous réserve”. À la lecture de la liste, nous comprenons que le champ de ce groupe de travail se limite aux seuls outils de la GRH publique, et donc qu’il occulte 90% des cas d’usages de SIA dans nos administrations, et donc 90% des outils mis entre les mains des agents ?
Suite à l’adoption par le Parlement européen de l’IA Act en 2023, la CFDT appelle à la conclusion d’un accord-cadre négocié avec les agents pour définir les lignes directrices de l’IA publique, englobant la stratégie, la doctrine d’emploi et les méthodes de conception, de déploiement et d’utilisation des SIA dans le secteur public.
Au niveau de la fonction publique, la CFDT appelle plus spécifiquement à la création d’un « registre des outils d’IA » dans le cadre des CSA/CST/CSE. Ce registre devrait inclure une description et une évaluation des projets, quels que soient leurs niveaux de risques. Actuellement, seul le recours à l’IA pour recruter et manager des travailleurs est soumis à une étude d’impact obligatoire. Les instances représentatives des agents, notamment les CSA/CST/CSE, doivent jouer pleinement leur rôle en protégeant les intérêts des agents et en garantissant que les systèmes d’IA améliorent et ne dégradent pas les conditions de travail.
Même si nous nous félicitons de sa tenue, un groupe de travail comme celui-ci aurait dû être mis en place bien plus tôt, alors que la question est sur la table depuis plusieurs années.
L’intelligence artificielle interroge aussi le sens du service public. Qu’attend-on de lui dans un contexte de réorganisation, d’automatisation, voire de déshumanisation de certaines taches ? Quelle place donne-t-on à l’accompagnement, au discernement, à la relation humaine dans les services publics de demain ?
Là encore, l’expertise des agents et leur proximité avec le terrain sont précieuses.
Sur les enjeux environnementaux : il faut Trouver un équilibre entre risques et opportunités
Le dilemme n’est pas simple : trouver un équilibre entre la contribution de l’intelligence artificielle (IA) aux enjeux environnementaux et son impact écologique.
Sur la question de l’égalité professionnelle, dans le champ spécifique de la transformation numérique, la problématique de l’égalité professionnelle touche l’ensemble de la filière numérique. Nous avons de nombreux exemple documentés, comme au sein des services de la Cour de cassation par exemple, où la façon dont sont introduits les projet de transformation numérique est une véritable réminiscence des “dames de la Carte du ciel”, ces femmes dont le travail a été invisibilisées par les astrophysiciens au XIXe siècle. Camille Girard-Chanudet, doctorante en sociologie à l’EHESS, a par exemple passé six mois au sein du pôle open data du service de la documentation, des études et du rapport (SDER) de la Cour de cassation. Nous vous conseillons de lire cette étude particulièrement éloquente en la matière.
Redonner avant tout de l’attractivité à l’emploi public
On rappelle aux employeurs publics que l’externalisation exige des ressources internes de pilotage. À long terme, il ne s’agit pas forcément d’une stratégie moins coûteuse que la conception interne.
Rappelons enfin que la fidélisation des compétences et le recrutement de nouveaux profils expérimentés doit passer par des négociations salariales volontaristes. Avec ou sans intelligence artificielle, il est aujourd’hui plus que nécessaire de redonner de l’attractivité à l’emploi public.
La CFDT Fonctions publiques est prête à contribuer activement à ces travaux, mais elle le fera en portant avec clarté ses exigences de régulation, de formation, de transparence, de respect de l’humain et du collectif de travail.
Contributions des employeurs
DGAFP : En réponse au propos liminaire de la CFDT, nous avons bien entendu et noté les points. Les propos du ministre ont manifestement été mal interprétés. Le ministre tient à accorder une place importante au dialogue social sur ce sujet, comme en témoigne l’organisation de ce groupe de travail.
Quelle est la place de la formation ? Pas se limiter uniquement à la GRH mais regarder tout ceci à différentes échelles pour en comprendre toutes les composantes sur l’impact du travail.
Les enjeux de méthode sont centraux.
La DGAFP présentera plus précisément le partie du document “Travaux initiés par la DGAFP” lors d’un prochain GT.
La DGAFP abordera plus précisément le cadrage de ce GT lors de la prochaine séance.
Prochaine étape
Date de GT à venir
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D’après l’article initialement publié par L’UFFA-CFDT
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Pour aller plus loin :
Le diaporama (DGAFP) support à la réunion
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Pour mémoire :
- Article du 13-03-25 : Intelligence artificielle dans la Fonction publique : opportunités et enjeux
- Article du 21-11-24 : Intelligence artificielle et dialogue social
- Article du 31-10-24 : Intelligence Artificielle et environnement : un défi écologique pour nos services publics
- Article du 19-09-24 : IGN : « Cartographier l’Anthropocène » – A l’ère de l’Intelligence Artificielle
- Article du 01-08-24 : Les Français et l’Intelligence artificielle (IA)
- Article du 03-06-24 : Intelligence artificielle (IA) : vers une révolution de nos services publics ?
- Article du 12-05-23 : Intelligence Artificielle, que fait l’Union Européenne ?
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