“La CFDT doit être le syndicat de la transformation écologique”

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Marylise Léon, élue secrétaire générale de la CFDT le 21 juin dernier, retrace son parcours militant et présente, pour Syndicalisme Hebdo, ses priorités.

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“La CFDT doit être le syndicat de la transformation écologique”

Par Claire Nillus et Nicolas Ballot

Tu es secrétaire générale de la CFDT depuis le 21 juin. Peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours syndical ?

Mon parcours syndical est très lié à un constat que j’ai rapidement fait lors de mes expériences professionnelles : les travailleurs ne sont pas suffisamment associés aux décisions qui les concernent. Après des études de chimie générale et chimie de l’environnement, j’ai travaillé dans un cabinet de conseil comme responsable sécurité environnement. Cette expérience passionnante m’a permis d’aller dans les usines, les ateliers. C’est là que j’ai pris conscience du peu de considération que les employeurs avaient parfois pour la parole des travailleurs. Cela m’a été très utile ensuite quand j’ai été embauchée par l’Institut de développement d’études et de formations (Idéforce) de la Fédération CFDT Chimie-Énergie, où je formais des élus du personnel sur les risques industriels majeurs. C’était en 2003, et la catastrophe d’AZF était dans tous les esprits. J’ai continué à travailler sur la santé, la sécurité et les conditions de travail dès mon arrivée à la fédération, en 2008, puis sur les instances du personnel et le développement durable à partir de 2014 à la Confédération, avant de devenir secrétaire générale adjointe au congrès de Rennes (juin 2018).

Tu prends les rênes de l’organisation au terme de six mois de mobilisation exceptionnelle. Quels enseignements en tires-tu pour le syndicalisme, le dialogue social et la démocratie ?

“L’image des organisations syndicales, et en particulier celle de la CFDT, n’a jamais été aussi bonne.”
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT

Le syndicalisme a montré un visage très combatif – et nous avons beaucoup à apprendre de cette période, même si le résultat n’est pas à la hauteur de ce que l’on espérait. L’enquête réalisée à notre demande par Kantar, qui porte sur l’image de la CFDT, et présentée le 21 juin, est extrêmement intéressante. Elle confirme ce que nous avons observé : des cortèges partout en France, dans près de 250 villes de toutes les tailles, des mobilisations en nombre et dans la durée, des personnes qui, pour certaines, n’avaient jamais manifesté. L’enquête dit combien les organisations syndicales ont su porter leur voix et leur offrir un cadre afin d’exprimer leur mécontentement. L’image des organisations syndicales, et en particulier celle de la CFDT, n’a jamais été aussi bonne. C’est un véritable point d’appui pour les discussions à venir sur les sujets majeurs que l’on va continuer à porter, comme les conditions de travail et le pouvoir d’achat. En revanche, je suis plus inquiète pour le dialogue social et la démocratie. Le fort ressentiment des travailleurs, qui ne voulaient pas de cette réforme, risque de se traduire dans les urnes par un vote en faveur des extrêmes.

Comment renouer le dialogue avec le gouvernement ? Faut-il un changement de méthode ?

Début juin, nous avons fait le point entre partenaires sociaux sur tous les sujets que nous voulions aborder ainsi que sur la méthode que nous souhaitons pour les aborder. Avec l’exécutif, les modalités du dialogue posent question et nous savons ce que nous ne voulons pas ; il n’est pas question de retomber dans les travers de la concertation retraite, qui n’avait de concertation que le nom. On ne peut pas être dans une relation où l’on fait des propositions qui ne sont ni examinées ni évaluées.

Au terme de la crise sanitaire, puis de cette séquence sur les retraites, un certain nombre de sujets ont émergé. Qu’est-ce qui préoccupe le plus les salariés et les agents publics actuellement ?

Pour les travailleurs dits de la deuxième ligne, entendre qu’ils vont devoir travailler deux ans de plus sans que soient prises en compte leurs conditions de travail, ce n’est pas recevable. La colère contre la réforme des retraites a fait émerger le besoin qu’ils ont d’être écoutés concernant la réalité de leur travail, de pouvoir peser sur les conditions de son exercice ou encore sur son articulation avec d’autres temps de vie. Un autre sujet n’est jamais sorti des radars : celui du pouvoir d’achat. Les conflits relatifs aux salaires dans les entreprises étaient déjà majoritaires en 2022, et cela n’a pas changé. Ce sujet est tout aussi important pour les fonctionnaires, qui voient leur rémunération grignotée par l’inflation.

Il y a également de fortes attentes quant à l’organisation du travail. La CFDT souhaite que les représentants du personnel puissent négocier l’organisation du travail et l’aménagement du temps de travail au plus près de la réalité de leur entreprise ou de leur administration. Ce sujet doit être abordé au niveau de l’entreprise. C’est le cas, par exemple, de la semaine de quatre jours, qui doit être négociée localement avec les employeurs, comme cela a été fait pour le télétravail. Il n’y a pas une recette unique.

Nous défendons l’idée d’une meilleure répartition du temps de travail tout au long de la vie, à travers le Cetu (Compte épargne-temps universel), qui permet de prendre du temps pour soi, ses proches ou de se former… En ce sens, nous souhaitons l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle pour la mise en œuvre du Cetu, et nous voulons qu’elle soit au programme du futur agenda social avec le gouvernement.

Quels sont les thèmes que la CFDT souhaite mettre sur la table avec les partenaires sociaux à la rentrée ?

Les thèmes qui sont au cœur des aspirations des travailleurs, à commencer par le pouvoir d’achat. Il n’est pas normal que l’on ait encore 147 branches sur 171 avec des minima sous le Smic ! On doit contraindre les employeurs à négocier et à mieux répartir la richesse entre capital et travail. L’État employeur doit aussi comprendre que l’on ne peut pas laisser des agents sans perspectives d’évolution de carrière avec des grilles qui sont très écrasées.

La deuxième priorité exprimée par les travailleurs, c’est le travail lui-même : parlons du travail dans les entreprises et les administrations ! Et changeons le travail. Face aux évolutions de la société, nous devons mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée. Face aux défis climatiques, nous devons favoriser et faciliter les reconversions professionnelles. Devant l’intensification du travail, nous devons mieux prévenir l’usure professionnelle, réparer les effets de la pénibilité et donner la possibilité à tous de bénéficier d’une prévoyance contre les accidents de la vie.

Enfin, troisième priorité : il y a un enjeu de démocratie dans les entreprises. Que l’on donne enfin leur juste place aux travailleurs dans les décisions qui les concernent !

Par ailleurs, l’intersyndicale est unanime quant à la nécessité d’ouvrir une concertation sur les ordonnances. Sur quoi insiste-t-elle ?

Nous alertons depuis cinq ans sur les difficultés à faire vivre le dialogue social. Les employeurs n’ont pas joué le jeu : nous nous adressons donc à l’exécutif. Nous demandons une concertation sur trois points au moins : la limitation du nombre de mandats successifs est à réinterroger face aux problèmes de renouvellement générationnel dans les sections. Mais il faut aussi améliorer la prise en charge de la santé au travail, avec l’abaissement du seuil de 300 à 50 salariés pour les CSSCT (Commissions santé, sécurité et conditions de travail). Enfin, nous demandons le retour des représentants de proximité dans les entreprises.

Le thème premier de ton engagement à la CFDT, c’est l’environnement. Quels leviers peut-on mettre en œuvre pour une transition écologique juste ?

“[…] Il faut accélérer la transition écologique et faire en dix ans ce qui n’a pas été fait depuis trente ans. Pour aller plus vite, il faut passer du stade de la transition à celui de la transformation écologique.”

Nous sommes l’organisation syndicale en pointe sur la question de l’écologie et nous devons continuer de l’être. Si la transition écologique est un thème omniprésent dans le débat public, il faut accélérer et faire en dix ans ce qui n’a pas été fait depuis trente ans. Pour aller plus vite, il faut passer du stade de la transition à celui de la transformation écologique. Les travailleurs ne peuvent pas être une variable d’ajustement ; ils sont au cœur du système, et je suis convaincue qu’en sécurisant leurs parcours et en leur donnant la possibilité de se reconvertir, nous pourrons réussir cette transformation. La CFDT doit être le syndicat de la transformation écologique et climatique au travail ! Mais nous ne sommes pas seuls. Il faut une volonté politique beaucoup plus forte sur ce thème, de l’écoconditionnalité lors du versement d’aides publiques aux entreprises pour qu’elles s’engagent sur le plan environnemental et plus de dialogue social sur cette problématique.

Oui mais comment sécuriser les parcours et les reconversions professionnelles pour réussir cette transformation ?

Il faut articuler le système d’assurance chômage avec les transformations inévitables de certains métiers. Pour cela, nous voulons que soit mise en place une assurance « transition emploi » pour tous les travailleurs et les demandeurs d’emploi. L’objectif est de créer un socle de droits universels et effectifs sécurisant toute mobilité professionnelle, qu’elle soit subie ou choisie, pendant les périodes de transition. Il s’agit aussi de décloisonner les dispositifs existants. Aujourd’hui, soit vous êtes en emploi, soit vous êtes au chômage, et l’on vous propose des formations en lien avec vos compétences. L’idée, c’est de donner la possibilité de se reconvertir.

Il faut donc lever les freins qui empêchent d’aller voir ailleurs. Rien ne se fera sans les travailleurs, et je suis persuadée qu’ils peuvent s’inscrire dans cette dynamique de transformation écologique si on lève les appréhensions, légitimes, qui planent sur ce sujet.

Une autre peur, c’est l’échéance présidentielle de 2027 et la montée de l’extrême droite. Comment expliquer à ceux qui sont tentés par le vote RN que ce n’est pas un parti politique comme les autres ?

Il y a une vraie colère liée à l’exercice de la démocratie en ce moment mais, pour moi, le vote Rassemblement national n’est pas une fatalité. La lutte contre l’extrême droite est l’une des priorités de la CFDT. Nous combattons ceux qui portent les idées du RN et leurs responsables ; pas leurs électeurs, qui se réfugient souvent dans ce vote pour exprimer leur colère. Nous devons aller à leur rencontre, débattre et comprendre ce qu’ils attendent. Je débattrai aussi souvent que nécessaire avec les électeurs mais jamais avec les représentants du RN.

La CFDT a enregistré depuis janvier dernier près de 50 000 adhésions. Comment fidéliser ces nouveaux adhérents ?

Il est important de les accueillir et de leur donner une place à la CFDT. Il a été décidé au congrès de Lyon, l’an dernier, d’offrir à chaque adhérent qui le souhaite la possibilité de participer à un projet (même seulement quelques heures ou quelques semaines), de mener une action, de faire partie d’un réseau. Je pense notamment aux réseaux de jeunes qui commencent à se structurer dans certaines fédérations et unions régionales. Il faut répondre à cette envie d’appartenir à un groupe et élargir les possibilités d’agir et de s’engager en dehors d’une prise de mandat obligatoire. Bien souvent, les adhérents qui participent à la vie d’une section finissent d’ailleurs par en prendre un !

La Confédération organise depuis janvier une grande consultation – “Le Rendez-vous des syndicats” – pour envisager des évolutions lors du congrès. En quoi consiste-t-elle et quel est son objectif ?

Les textes votés lors du congrès de Lyon nous invitent clairement à changer de braquet et à aller plus vite et plus loin dans la mise en œuvre du fédéralisme opérationnel. Il s’agit d’interroger nos modes de fonctionnement pour être plus attractifs, plus accueillants et, in fine, plus efficaces. Pour y parvenir, nous avons décidé de travailler sur les syndicats avec les syndicats à partir de leur vécu et de leurs réalités. Concrètement, d’ici à la fin de l’année, chaque syndicat aura été convié par son URI (Union régionale interprofessionnelle) à échanger, en petit comité, avec d’autres syndicats de son champ, en présence d’un représentant de l’URI, de la fédération concernée et d’un secrétaire national pour voir ce qui fonctionne bien et ce qui doit être amélioré. L’objectif de la Confédération est bien de renforcer la place et le rôle des syndicats en facilitant leur travail afin qu’ils puissent se recentrer sur leurs fonctions essentielles.

À ce jour, 40 % des syndicats ont déjà participé à ces rendez-vous, lesquels permettront de dégager des pistes d’évolution qui seront débattues par les syndicats eux-mêmes lors du prochain congrès confédéral, en 2026.

Par Claire Nillus et Nicolas Ballot

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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo (27/06/23)
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