Réforme de l’encadrement supérieur de l’État : La fusion des corps techniques est une mauvaise idée !

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Réforme de l’encadrement supérieur de l’État : La fusion des corps techniques est une mauvaise idée ! (01-10-21)

En septembre, le gouvernement a lancé une mission sur la mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique pour les corps techniques de l’État (Mines, IPEF, armement et Insee). Cette mission doit proposer des scénarios sur l’évolution statutaire des corps techniques. Trois options sont avancées : une intégration au sein du nouveau corps des administrateurs de l’État, une intégration au sein d’un corps unique des ingénieurs de l’État ou la conservation d’un système de corps techniques distincts.

Bastien Scordia, d’Acteurs Publics, s’est entretenu avec Thierry Duclaux, le président du groupement des associations de la haute fonction publique (G16), pour qu’il donne son point de vue sur cette réforme.

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Thierry Duclaux : “La fusion des corps techniques est une mauvaise idée” (Acteurs Publics – 01-10-21)

Le président du G16 – le groupement des associations de la haute fonction publique – livre son point de vue sur la réforme de la haute fonction publique. L’occasion pour le secrétaire général de “Ponts Alumni” de revenir sur la mission sur les corps techniques, lancée début septembre par le gouvernement. 

Quel regard portez-vous sur la réforme de la haute fonction publique, actée par l’ordonnance du 2 juin dernier et dont les modalités d’application doivent encore être précisées par la voie réglementaire ? 
Cette réforme était attendue depuis très longtemps. Au cours des dernières décennies, les rapports se sont entassés sans que rien ne se passe pour la haute fonction publique. On demandait une réforme, elle arrive et embrasse aussi bien la formation que les parcours de carrières ou les rémunérations. On ne va donc pas s’en plaindre. Elle englobe la rénovation de la gestion de l’encadrement supérieur dont on avait bien besoin. Il n’en demeure pas moins un certain nombre de points de forte préoccupation et d’autres qui restent à être précisés.

Quels sont ces points de préoccupation ? 
Notre principal point de préoccupation est la fonctionnalisation généralisée dans l’encadrement supérieur. C’est probablement la plus grande novation sur le plan structurel même si cette fonctionnalisation existe déjà dans la fonction publique et de manière large (pour les chefs de service, les sous-directeurs, …). Elle pose néanmoins la question de l’apprentissage et de l’approfondissement des métiers. Un préfet n’apprend pas son métier le jour où il est nommé. Idem pour les membres des inspections : savoir faire un audit ou connaître la matière inspectée, cela prend du temps. Le deuxième point sensible est celui de l’indépendance d’esprit nécessaire à la bonne qualité des travaux, qualité dont l’État est le premier bénéficiaire. Si un inspecteur se demande ce qu’il va faire d’ici 1 ou 2 ans à la fin de son emploi fonctionnel, il n’aura pas forcément la sérénité d’esprit nécessaire. Ce sont des interrogations de fond. L’État en a d’ailleurs tenu compte en rédigeant l’article 6 de l’ordonnance. Mais celui-ci ne concerne que les chefs des inspections. Nous n’avons pas aujourd’hui réponse à toutes ces questions. Quid en effet de la durée de l’emploi fonctionnel, des procédures de nomination, de renouvellement ou de sortie. La durée d’un emploi fonctionnel de sous-directeur est aujourd’hui de deux fois 3 ans. Ç’est court pour un poste d’inspection. On ne peut pas devenir un expert en 6 ans seulement.

Avec cette fonctionnalisation annoncée, il s’agit aussi de s’attaquer au « phénomène de la rente », souvent dénoncé notamment par le chef de l’État Emmanuel Macron. Existe-t-il véritablement un tel phénomène ? 
Ça a beaucoup disparu tout de même. Quand on ouvre un poste, on cherche quelqu’un ayant les compétences en rapport avec ce poste. Mais, quelqu’un qui est spécialiste de la biodiversité ne va pas aller faire des études statistiques et inversement. Il y a des logiques de gestion, et aussi des visions encore trop limitées par une approche par départements ministériels ou par établissements. Parler des chasses gardées dans la haute fonction publique, ce n’est pas donner une juste idée de sa gestion.

Qu’attendez-vous de la mission sur la mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique pour les corps techniques, lancée par le gouvernement début septembre ? 
Cette mission est bienvenue. Les corps techniques apparaissaient quand même, mais en deuxième ligne de la réforme de l’État. Ils ne semblaient donc pas au cœur des préoccupations de l’exécutif. La reconnaissance, par le Premier ministre, du besoin en compétences scientifiques et techniques est donc très positive à nos yeux. Tout comme la prise en compte de la concurrence du secteur privé pour les recrutements. Nous sommes donc d’accord pour que ces corps soient inclus dans une réforme qui entend aboutir à une gestion plus dynamique et individualisée des carrières. Deux points nous interrogent malgré tout dans la lettre de mission du Premier ministre. Premièrement, elle apparaît très franco-française. Les enjeux numériques ou écologiques qui y sont cités ne se résoudront pas à l’échelle de l’hexagone mais bien à l’échelle planétaire. Deuxième point d’interrogation, la durée des carrières et l’obsolescence supposée des compétences. C’est à l’Etat de mettre à jour ces compétences. Mais ce qui est important c’est l’entrée par les compétences et les métiers. Outre la formation initiale, ce sont les premiers postes qui participent beaucoup à cette formation métier. Aujourd’hui, les premiers postes offert sont encore trop tributaires des contraintes de gestions, , sans se préoccuper assez de savoir si c’est un poste qui complète bien la formation ou offre une première expérience utile pour se confronter aux réalités et problématiques du terrain. C’est un enjeu primordial, c’est une des motivations des jeunes pour s’orienter ou non vers la haute fonction publique et donc vers les corps techniques.

La mission doit notamment proposer des scénarios sur l’évolution statutaire des corps techniques. Trois options sont avancées par le gouvernement : une intégration au sein du nouveau corps des administrateurs de l’État, une intégration au sein d’un corps unique des ingénieurs de l’Etat ou la conservation d’un système de corps techniques distincts. Que pensez-vous de ces scénarios ? 
Si elle est appelée de ses vœux par le Premier ministre, l’approche individuelle suppose également une certaine proximité. En ce sens, la fusion des corps techniques ou l’intégration dans le corps des administrateurs de l’État nous semblent être une mauvaise idée. Il n’y a qu’à regarder la gestion plus que perfectible des administrateurs civils. Imaginez la situation demain dans le nouveau corps des administrateurs de l’État avec des profils à la fois sortis de l’ENA et des profils techniques qui n’en sont pas issus. On peut parier que l’Etat ne pourra jamais gérer un ensemble si vaste. Les métiers de la haute fonction publique sont très diversifiés, ils doivent dès lors être gérés de manière spécifique et donc, dans des ensembles beaucoup plus petits. Les corps ont été créés pour cela, pour offrir un ensemble cohérent de compétences. On a déjà fusionné les corps techniques, en les faisant passer de 11 à 4 en l’espace de 10 ans. Pas sûr toutefois que l’on ait gagné en compétences et en qualité de gestion.. Le « corps » a probablement des défauts que l’on peut corriger, mais il a aussi démontré sa capacité à gérer des sous-ensembles métiers cohérents de manière professionnelle.

Vous êtes donc favorable à la conservation de l’architecture actuelle des corps techniques…
Effectivement. Nous ne voyons pas la nécessité de fusionner. On peut gérer des parcours dynamiques avec les 4 corps actuels, mais il faut le faire de manière plus internationale et interministérielle. C’est indispensable et c’est le rôle que l’on attend de la DIESE, la DGAFP ne le faisant pas aujourd’hui. Sinon les gestionnaires ministériels continueront à s’occuper de leur sphère de responsabilité de la même manière qu’aujourd’hui. C’est-à-dire en rechignant à « fournir » les meilleurs profils à d’autres ministères.

L’hypothèse d’un maintien de l’architecture actuelle des corps techniques permettra-t-elle toutefois à l’objectif gouvernemental de « diversification des recrutements » et de « décloisonnement des parcours » ?
Il n’y a rien d’incompatible à cela. La diversification des recrutements existe déjà. Pour accéder au corps des Ponts, par exemple, vous pouvez avoir fait l’X ou une autre grande école ou encore avoir emprunté la voie universitaire. Cette diversification a déjà montré toute sa richesse. Un docteur recruté dans le corps n’abordera pas les sujets de la même manière qu’un concours interne et c’est très bien. Toutefois, bien que ce dispositif soit perfectible , la question de la diversité sociale de la haute fonction publique ne pourra se régler convenablement qu’en travaillant bien en amont de l’accès dans un corps.

Propos recueillis par Bastien Scordia 

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