Retraites : les raisons d’un échec
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Le “conclave” s’est achevé sur un constat d’échec le 23 juin dans la soirée. Les organisations syndicales dénoncent l’attitude du patronat, et plus particulièrement du Medef, qui a torpillé la négociation pour l’empêcher d’aboutir. La CFDT regrette cette occasion manquée de revenir sur la réforme de 2023. Le Premier ministre tente à présent de reprendre la main afin de “sauver les meubles”.
La séance supplémentaire de négociation arrachée in extremis le 17 juin n’aura finalement pas permis d’aboutir à un accord. Lundi 23 juin, après sept heures de discussions, les partenaires sociaux ont finalement acté l’échec des négociations relatives aux retraites. « Pour négocier, il faut être deux. Le patronat n’a pas été au rendez-vous, a résumé Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT. Nous avons dû nous rendre à l’évidence : le Medef n’avait pas l’intention de bouger sur la pénibilité, il jouait la stratégie de l’échec. » Après quatre mois de travail et seize rencontres, acter la fin des discussions n’était pas chose facile pour les organisations syndicales qui se sont battues jusqu’au bout afin de parvenir à faire évoluer la position patronale.
Le patronat est resté inflexible sur la pénibilité
« Nous n’étions pas si loin d’un accord, mais les discussions ont clairement achoppé sur la pénibilité », explique Yvan Ricordeau. Les organisations syndicales avaient en effet accepté de ne pas revenir sur les 64 ans en vue d’aboutir à un accord, avec comme contrepartie un dispositif pénibilité ambitieux qui aurait autorisé les salariés concernés à partir plus tôt. L’idée était notamment de réintégrer dans le C2P (Compte professionnel de prévention) les trois critères ergonomiques – en l’occurrence le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques – qui en avaient été retirés en 2017. Or le patronat est resté inflexible. Il acceptait de réintégrer les trois critères de pénibilité dans le C2P… mais sans que cela permette de prendre plus tôt sa retraite. Les organisations patronales ont même proposé, dans la dernière ligne droite de la négociation, un dispositif pénibilité en net recul par rapport à ce qui existe aujourd’hui !
Une position inacceptable selon les organisations syndicales, qui ont toutes exprimé leur colère quant à l’attitude du patronat. La CFDT, la CFTC et la CFE-CGC ont eu des mots très durs pour décrire l’attitude du Medef depuis le début des discussions, évoquant un « manque de loyauté », une « rupture de confiance », un « sabordage ». Le Medef, pour sa part, n’a cessé de rappeler qu’il n’était pas demandeur de ce conclave et que l’on ne pouvait pas « faire peser sur [lui] la responsabilité de cet échec », sentant bien venir les critiques.
Signe de ce malaise côté patronal, les numéros un du Medef et de la CPME, en amont de la dernière séance de négociation, ont organisé un « coup de com » qui a particulièrement fâché le camp syndical (Photo ci-dessous). Contrairement à tous les usages, ils se sont rendus sur le lieu du conclave et ont fait une déclaration devant les caméras, évoquant des avancées et des propositions, l’idée étant de couper l’herbe sous le pied des critiques. « Ils n’ont rien dit pendant les seize séances et, d’un coup, avant le début de la dernière séance, sans avoir pris la peine de contacter les organisations syndicales, ils organisent cette conférence de presse et parlent de propositions. Ce n’est absolument pas correct ; d’ailleurs, nous n’avons jamais eu de traces écrites de leur projet par la suite », affirme Yvan Ricordeau.
![]() Échange musclé entre Yvan Ricordeau (CFDT) et Patrick Martin (MEDEF) et Amir Reza-Tofighi (CPME) – 23-06-25 -15h by Syndheb |
Une occasion manquée
Selon le secrétaire général adjoint de la CFDT, qui a mené les discussions ces quatre derniers mois, cet échec de la négociation est une occasion d’autant plus manquée que les travaux effectués avaient permis de parvenir à un compromis qui répondait à la fois à la nécessité de garantir l’équilibre financier du système et à la réduction de deux grandes injustices de la réforme de 2023 – l’égalité femmes-hommes et la pénibilité. « Je suis en colère car nous aurions pu faire avancer le sujet de la pénibilité, nous aurions pu répondre à la problématique des maçons ou des aides-soignants qui ont déjà du mal à travailler jusqu’à 62 ans et pour qui il n’est pas possible d’aller jusqu’à 64 ans. Quand on est syndicaliste, on se bat pour changer la vie des gens, concrètement. Aujourd’hui, l’histoire se finit mal pour les salariés. »
La balle est à présent dans le camp du Premier ministre, qui, dès l’annonce de l’échec des discussions, a invité l’ensemble des négociateurs à Matignon pour tenter de sauver le « conclave ». À l’heure où nous écrivons ces lignes, il est impossible de savoir ce que donnera cette initiative. La CFDT a évidemment accepté l’invitation de François Bayrou, tout en rappelant ses revendications et son souhait d’avancer. « Dans une période où la démocratie politique est en crise, les partenaires sociaux ont un devoir d’exemplarité pour répondre aux attentes des citoyens », souligne une négociatrice qui espère que les propositions des organisations syndicales trouveront un écho auprès des parlementaires.
Le dossier retraites n’est pas encore refermé
Mais, déjà, le camp politique rompt la fragile trêve qui avait prévalu durant le conclave. La France insoumise a annoncé qu’elle comptait déposer une motion de censure dans les prochains jours. « Nous n’en avons pas fini avec le dossier des retraites. Il n’est pas question que la CFDT renonce à corriger les plus grosses injustices de la réforme Borne. Les travaux que nous avons menés ces quatre derniers mois n’auront pas été inutiles, conclut Yvan Ricordeau. Ils ont montré qu’il était possible d’acter des avancées pour les salariés tout en assurant l’équilibre financier du système. Nous étions parvenus à trouver ce fragile équilibre. Par son attitude, le patronat a fait capoter les discussions. Conclusion : aujourd’hui, nous n’avons ni les avancées sociales ni l’équilibre financier à moyen terme. »
Par Jérôme Citron
Rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine
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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo
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Marylise LEON sur la matinale de TF1 ce mardi 24 juin 2025
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Pour mémoire :
Les diverses réunions sur les retraites (Le « conclave »)
- Une première rencontre constructive
- Âge de départ et espérance de vie au menu des discussions
- Conclave sur les retraites : première grosse crise
- Retraites : les partenaires sociaux reprennent la main
- 5ème réunion sur les retraites a traité de la pénibilité,
- 6ème réunion sur les retraites a traité de la situation des femmes
- 7ème réunion sur les retraites a adopté une nouvelle feuille de route
- 8ème réunion sur les retraites a traité du financement de la protection sociale
- 9ème réunion sur les retraites a été dédiée à la capitalisation
- 10ème réunion sur les retraites a traité du pilotage du système
- 11ème réunion sur les retraites a traité de la suite du pilotage du système
- Retraites : la fin d’un premier cycle
- Négociation retraites : où en sommes-nous ?
- 12ème réunion sur les retraites du 05 juin 2025
- 13ème et 14ème séances : les discussions se poursuivent
- Retraites : avant dernière réunion
- Retraites : les discussions dans la dernière ligne droite
- Retraites : une ultime séance le 23 juin
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