Les organisations syndicales votent en CCFP unanimement contre le projet de loi de réforme de la fonction publique

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Les organisations syndicales votent en CCFP unanimement contre le projet de loi de réforme de la fonction publique (18 mars 2019)

AEF – 16 mars 2019 – Clarisse Jay

À l’issue de 14 heures de débats, les neuf organisations syndicales représentatives de la fonction publique ont voté unanimement contre l’avant-projet de loi de transformation de la fonction publique, vendredi 15 mars 2019, en fin de soirée, lors de l’assemblée plénière du Conseil commun de la fonction publique. Sur les 255 amendements finalement déposés sur le texte, le gouvernement en a, de sources syndicales, retenu 23 dont treize de la CFDT, six de l’Unsa et trois des employeurs territoriaux. Mais ces « avancées » sont jugées insuffisantes par les représentants syndicaux.

Il aura fallu plus de 14 heures de débats, de 9 heures à 23h10, vendredi 15 mars pour que les membres du CCFP réunis en assemblée plénière – reconvoquée après un report le 6 mars dû au boycott de plusieurs organisations syndicales – viennent à bout de l’examen des 33 articles du texte et des 255 amendements déposés in fine (certains ont été ajoutés au déroulé initial lors du délai supplémentaire accordé par le gouvernement) sur le projet de loi de transformation de la fonction publique, regroupés dans une liasse de quelque 170 pages : 98 par l’Unsa, 94 par la CFDT, dix par la CFTC, sept par la CFE-CGC, un par Solidaires et un par la FA-FP (les deux organisations ont déposé un amendement unique de retrait du texte, la FA plaidant pour l’ouverture de négociations), 27 par la coordination des employeurs territoriaux, 9 par les employeurs hospitaliers et quatre par le gouvernement.

De l’avis de certains participants, cette séance marathon présidée par Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes s’est déroulée dans une « bonne ambiance de travail », malgré la nette opposition au texte d’une grande partie d’entre eux. Organisations syndicales et employeurs publics ont voté sur chaque amendement et rendu un avis sur chaque article (plusieurs ont reçu un avis défavorable unanime de leur part) puis sur l’ensemble du texte (l’avis est consultatif). Ce dernier vote s’est traduit par un avis défavorable unanime de la part des neuf organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, Unsa, FSU, Solidaires, FA-FP, CFE-CGC et CFTC) ; les employeurs territoriaux se sont abstenus alors que le gouvernement et les employeurs hospitaliers se sont prononcés pour le texte. À noter que conformément à leur stratégie, une partie des syndicats – qui ont boycotté la séance plénière du 6 mars et n’ont pas déposé d’amendement (hormis ceux de suppression du texte) – n’ont pas pris part au vote des amendements, exception faite du titre V relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

DES « CONCESSIONS » DE LA PART DU GOUVERNEMENT…

Sans surprise, aucun des amendements de suppression (sur tout le texte ou sur certains articles, notamment ceux relatifs au fonctionnement du CCFP, au regroupement des comités techniques et des CHSCT, à la création d’un « contrat de projet », à l’élargissement du recours au contrat ou encore l’harmonisation de l’échelle des sanctions) n’a été jugé recevable par le gouvernement.

Toutefois, de sources syndicales, ce dernier aurait retenu une petite cinquantaine des 255 amendements, que ce soit en s’engageant à les reprendre dans le texte ou en les intégrant après réécriture par ses services. D’où pour l’heure, un comptage assez flou en la matière. En tenant compte de ces deux possibilités, une trentaine de ces amendements acceptés émaneraient de la CFDT, une quinzaine de l’Unsa, très peu provenant de la CFTC et des employeurs territoriaux. Par ailleurs, un certain nombre d’amendements ont été retirés soit parce que les dispositions qu’ils proposent sont déjà satisfaites par la réglementation en vigueur, soit parce qu’elles ne sont pas d’ordre législatif et devraient à plus long terme être incorporées aux décrets d’application de la future loi.

En matière de dialogue social

« Le gouvernement a rendu un avis favorable sur un certain nombre de ces amendements afin d’enrichir la portée des dispositions du projet de loi », indique ainsi le secrétariat d’État d’Olivier Dussopt dans un communiqué diffusé ce samedi 16 mars en début de matinée. Ont notamment été repris, précise-t-il, plusieurs amendements de la CFDT qui complètent les attributions du futur comité social (« d’administration », « territorial » ou « hospitalier ») issu de la fusion des CT et des CHSCT :

  • « Sur les politiques RH, la mise en œuvre des lignes directrices de gestion en matière de mobilité, d’avancement et de valorisation des parcours professionnels fera l’objet d’un bilan devant ces comités ;
  • les questions d’hygiène sont expressément mentionnées, au même titre que les questions de santé et de sécurité au travail et la compétence de l’instance a été élargie aux enjeux d’amélioration des conditions de travail ;
  • des assouplissements ont été apportés s’agissant de la création des formations spécialisées compétentes sur les enjeux de santé, de sécurité et de conditions de travail, de manière à tenir compte de l’existence de risques professionnels particuliers dans certains services ou parties de services. »

Selon la CFDT, sa demande de « maintenir la possibilité de réunir le CSA en urgence si des risques professionnels le justifient » sera également intégrée au texte.

Autres modifications consenties par le gouvernement : « Offrir aux fonctionnaires qui le souhaitent, la possibilité de se faire assister par un représentant d’une organisation syndicale représentative de leur choix, dans le cadre des recours administratifs prévus par le projet de loi en matière de décisions individuelles de mutation, d’avancement et de promotion au choix ; et « renforcer la place de la négociation collective dans la fonction publique ».

En matière de garanties apportées aux agents

Par ailleurs, le gouvernement a accepté plusieurs amendements tendant à renforcer les garanties apportées aux agents, « tant fonctionnaires que contractuels » :

  • renforcement de la professionnalisation du recrutement des contractuels : « Un décret en Conseil d’État précisera la procédure applicable pour l’ensemble des emplois permanents de la fonction publique, à l’exception des emplois à la discrétion du gouvernement. Cette procédure sera adaptée pour tenir compte du niveau hiérarchique, de la nature des fonctions et de la taille de la structure dont relève l’emploi à pourvoir » ;
  • les contrats de projet « seront conclus pour une durée minimale d’un an et maximale de six ans » ; l’instauration d’une durée minimale était notamment proposée par l’Unsa.
  • « les agents bénéficieront d’une indemnisation spécifique en cas de rupture anticipée du contrat », une demande portée par la CFDT et l’Unsa ;
  • la formation sera renforcée, par voie d’ordonnance, pour les « agents peu ou pas qualifiés dans la fonction publique », les personnes en situation de handicap, et les agents « occupant des emplois présentant des risques d’usure professionnelle, dans un délai de 12 mois » ;
  • les fonctionnaires territoriaux pourront bénéficier du dispositif nouveau de rupture conventionnelle à l’instar des fonctionnaires de l’État et hospitaliers (comme souhaité par la CFDT) ; et des garanties procédurales seront introduites « afin que la mise en œuvre du dispositif résulte bien d’un commun accord entre l’agent et son employeur » ;
  • Enfin, « en cas de restructuration, les administrations et établissements publics devront [et non plus seulement « pourront »] mettre en œuvre un dispositif d’accompagnement individuel et collectif pour favoriser le reclassement des agents confrontés à la suppression de leur emploi ; les comités sociaux d’administration seront consultés sur ces dispositifs d’accompagnement, et informés de l’état d’avancement de leur mise en œuvre ».

L’Unsa précise dans un communiqué diffusé en fin de journée ce samedi avoir également « arraché la possibilité de se faire accompagner par un conseiller syndical en cas de rupture conventionnelle, ou en cas de recours sur certains aspects de sa carrière ». À noter, rapporte la CFDT, le retrait par le gouvernement de l’article 14 qui professionnalise les procédures de recrutement par la voie du contrat afin de garantir l’égal accès aux emplois publics dans les trois versants de la fonction publique. Par ailleurs, la confédération a obtenu, en vue d’un dialogue social approfondi, un délai supplémentaire de trois mois pour la publication de l’ordonnance prévue à l’article 16 habilitant le gouvernement à réformer notamment la protection sociale complémentaire dans un délai de neuf mois suivant la promulgation de la loi. Ce délai va donc être porté à 12 mois, ce qui ne réjouit pas toutes les organisations syndicales, d’aucunes estimant que cela étire encore un peu plus le calendrier de ce dossier, en suspens depuis 2017.

En matière d’égalité professionnelle

Enfin, plusieurs propositions d’amélioration relatives à l’égalité professionnelle (le titre V du projet de loi titre V traduit comme prévu des dispositions du protocole d’accord signé par sept organisations syndicales fin 2018) seront également reprises :

  • le seuil d’obligation pour l’élaboration des plans d’action « égalité professionnelle » dans la fonction publique territoriale va être « abaissé pour les collectivités territoriales de 20 000 habitants, contre 40 000 habitants dans la version initiale du projet de loi », comme souhaité par l’Unsa ;
  • « ces plans d’action devront obligatoirement prévoir des actions d’évaluation, de prévention et de traitement des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ;
  • « les lignes directrices de gestion en matière d’avancement et de promotion au choix préciseront les modalités de mise en œuvre du principe ‘d’avancement équilibré’ entre les femmes et les hommes, consacré par le projet de loi ;
  • « des cellules de signalement des agissements sexistes, des situations de harcèlement et de violences seront mises en place dans les centres de gestion, pour les collectivités territoriales qui en font la demande ».

… JUGÉES BIEN INSUFFISANTES PAR LES ORGANISATIONS SYNDICALES

Vote défavorable de la CFDT

Malgré ces avancées, l’ensemble des organisations syndicales a voté contre le texte, y compris la CFDT de la part de laquelle certains observateurs auraient pu attendre une abstention. « La refonte des rémunérations incluant une part plus grande au mérite a été écartée ; les compétences des nouvelles instances collectives de dialogue social seront renforcées en incluant plus de proximité, le recours au contrat sera mieux encadré, les mesures sur l’égalité professionnelle seront bien mises en œuvre, se félicite la CFDT dans un communiqué, ajoutant que « d’autres sujets seront traités dans les prochains mois : la négociation de proximité devra être mieux encadrée et définie, le poids des accords sera renforcé, la participation financière des employeurs publics à la complémentaire santé sera renforcée, les règles relatives à la protection de la santé des agents seront modernisées », et qu' »à chaque fois que ce sera possible », elle « revendiquera que le gouvernement s’engage dans des négociations plutôt que des concertations ».

Toutefois, « malgré la prise en compte de [ses] revendications, force est de constater que les exigences du calendrier des instances n’ont pas permis au dialogue social d’aller au bout des sujets », nuance-t-elle, regrettant que le gouvernement a « refusé de revenir sur ses positions relatives aux instances traitant des questions individuelles (CAP) », « de restreindre le recours au contrat », « n’est pas allé suffisamment loin sur les garanties permettant de lutter contre la précarité, ni sur celles encadrant le contrat de mission, et ne s’est pas engagé sur sa volonté de rendre obligatoire la participation des employeurs à la protection sociale complémentaire ».

D’où sa décision de voter contre le texte, « estimant que sa stratégie a payé mais que le gouvernement n’a pas souhaité aller plus loin dans le cadre très idéologique qu’il avait lui-même arrêté ». Et de prévenir qu’elle portera ces prochaines semaines « ses propositions en direction des parlementaires pendant la discussion du projet de loi » et qu’elle « restera mobilisée pour défendre et améliorer les droits des agents publics, quel que soit leur statut, dans le cadre d’un dialogue social exigeant ».

Vers une mobilisation accrue des autres syndicats ?

Les sept autres organisations syndicales comptent bien elles aussi rester mobilisées. L’Unsa déplore notamment « que seulement 10 % de ses amendements ont été retenus par le gouvernement ». « Ni l’amélioration des carrières, ni la revalorisation des rémunérations obligatoire a minima de l’inflation, ni même le ‘droit à déconnexion’ pourtant existant dans le privé n’ont été intégrés dans le projet de loi ! », dénonce l’union syndicale rejetant, sur le fond, « de telles modifications qui pourraient conduire à une fonction publique sans statut », « alors que le grand débat national n’a pas livré ses conclusions ».

En réaction, la CGT, l’Unsa, la FSU, Solidaires, la FA-FP, la CGC et la CFTC organisent une conférence de presse commune le mercredi 20 mars afin de « faire part de leurs analyses du projet de loi dit de transformation de la Fonction publique suite aux différentes instances qui se seront tenues à la fonction publique et pour […] annoncer les décisions prises ensemble pour faire entendre la voix des agents ». Elles pourraient à cette occasion annoncer une intensification de leur action, au-delà de la mobilisation prévue le 27 mars, jour prévu de présentation du projet de loi en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’État.

D’ici là, le CSFPT (Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale), reconvoqué le 18 mars, doit examiner les articles du texte relatifs au versant territorial.

Par Clarisse Jay (AEF – 16 mars 2019)