Retraites – Régimes spéciaux : des questions, des chiffres et… des comparaisons

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Retraites – Régimes spéciaux : des questions, des chiffres et… des comparaisons (Les clés du social – 11-12-19)

D’où viennent les régimes spéciaux, quel est le nombre de personnes concernées, quels sont les problèmes identifiés en termes de convergence idéale et juste, quels sont les autres chantiers à mener en parallèle… ? Tentative de réponse.

Des questions

  • Pourquoi existent-ils des régimes spéciaux ?

Ils sont le fruit de l’histoire et au départ de la volonté de l’État, dès le 18ème siècle, d’offrir à ses militaires et à ses fonctionnaires une protection supplémentaire. Au 19ème siècle l’État décide de protéger les travailleurs des secteurs stratégiques de l’énergie et des transports. Ainsi 18 régimes de cheminots sont mis en place à partir de 1850 dans chacune des compagnies ferroviaires privées, puis ils sont unifiés en 1911. De même, à partir de 1830, des régimes miniers sont créés par bassin d’emploi ou par minerai comme le charbon, le fer, la potasse, etc., ces régimes sont unifiés en 1914. Le régime spécial de la RATP est créé en 1924, celui des gaziers et électriciens en 1928 et celui des clercs et employés de notaires en 1937. Comme on le voit les phénomènes de création sont menés en parallèle de phénomènes d’unification. Le plus ancien recensé est lancé par l’État dès 1853 pour les fonctionnaires civils et militaires.

  • Les régimes spéciaux sont-ils liés au nombre de salariés ?

Non, le petit nombre de salariés n’empêche pas la création de régimes spéciaux autonomes comme celui de l’Opéra de Paris ou de la Comédie-Française. Ainsi on constate au 20ème siècle, la mise en place en place de régimes spéciaux de tailles diverses dans les tabacs et allumettes, chez les marins ou dans les 12 grandes banques, chez les 180 000 agents de la Sécurité sociale, les personnels au sol d’Air France, les salariés des compagnies d’assurance, des cultes… Jusqu’à la fin des années 1980, une centaine de régimes spéciaux existaient.

Des chiffres

  • D’une centaine en 1980 à une douzaine de régimes spéciaux aujourd’hui

Progressivement, les régimes spéciaux s’unifient ou s’intègrent dans le régime général en particulier après la parution du livre blanc sur les retraites en 1991. Il met l’accent sur leurs déséquilibres financiers et démographiques. Quand le déficit est trop fort la fermeture est organisée comme par exemple pour le régime des mineurs qui compte en 2019, 1 327 cotisants pour 241 130 bénéficiaires.

Une majorité est également intégrée à l’interprofession (le régime général) à des conditions neutres (même cotisations et mêmes droits que le privé) et si des avantages continuent d’exister ils sont payés par leurs bénéficiaires. Une forme de souplesse qui pourrait inspirer la réforme d’aujourd’hui.

  • Les principaux régimes spéciaux et le nombre de personnes concernées

Le débat médiatique, politique et syndical se centre en général sur les régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP. Or force est de constater que les salariés de ces entreprises sont peu nombreux au regard du nombre total de salariés en France. Plus de 25 millions, secteur public et privé additionnés. En revanche la comparaison entre le nombre de cotisants et le nombre de bénéficiaires est particulièrement dramatique. De même que le renfort du budget de l’État pour que ces régimes arrivent à l’équilibre. 7,5 milliards d’euros y ont été consacrés en 2019.

  • Le régime spécial de la SNCF compte 141 000 cotisants pour 256 000 bénéficiaires. L’aide de l’État s’élève à 3,2 milliards soit près de la moitié du renfort budgétaire de l’État.
  • Le régime spécial de la RATP compte 42 000 cotisants pour 50 000 retraités.
  • Le régime spécial des marins compte 30 000 cotisants pour 109 000 bénéficiaires.

Les autres régimes spéciaux sont : les ouvriers de l’État, les industries électriques et gazières, les clercs et employés de notaire, l’Opéra de Paris, la Banque de France, le Port autonome de Strasbourg. Et…

  • Le plus grand et le moins connu des régimes spéciaux

Enfin, the last but not the least, le plus important d’entre eux est celui qui est le plus régulièrement ignoré : le régime spécial des fonctionnaires.

Les trois régimes de retraite, dits « complets » ou « intégrés », de la fonction publique (régimes des fonctionnaires civils et des militaires de l’État, des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière et des ouvriers d’État) représentent 32,3 % des dépenses de l’ensemble des régimes de base, environ 14,6 % du nombre de pensions servies et 16,1 % de l’ensemble des cotisants. Ils font partie des régimes spéciaux de retraite de la branche vieillesse (Section1.4).

Ils représentent près de 5,5 millions de personnes dans les trois versants de la fonction publique. Et certainement le plus difficile à traiter financièrement du fait des différences existantes avec le secteur privé et surtout au sein même des fonctionnaires.

Car si depuis la réforme de 2003 les fonctionnaires bénéficient d’un système de retraite complémentaire, il est alimenté par une partie des primes touchées. Cela avantage et avantagera dans la future réforme les emplois publics à fortes primes (policiers, hauts fonctionnaires, diplomates…) et pénalisera ceux qui touchent peu ou pas de primes, comme les enseignants. En conséquence, si rien ne bouge les 870 000 enseignants accumuleraient en fin de carrière proportionnellement moins de points que les agents percevant de fortes primes. Leur retraite s’en trouverait réduite d’autant. Conscient du problème, le gouvernement s’est engagé à ce que la rémunération des enseignants soit revalorisée.

Et c’est là que les chantiers d’Hercule devraient commencer car au-delà de l’homogénéisation des principales règles du calcul de la retraite, on le voit, d’autres chantiers devront être menés en parallèle comme la revalorisation salariale des enseignants et des infirmiers.

En définitive, le traitement des régimes spéciaux dans le cadre de la future réforme des retraites ne pourra être mené que de manière progressive et avec des modalités différentes compte-tenu des très grandes différences en leur sein et du nombre de personnes concernées. Et en gardant présent à l’esprit justice, cohérence et solidarité.


Sources

  • François Charpentier, Les Retraites en France et dans le monde, Economica, 2009
  • François Charpentier, Une nouvelle sécurité sociale, de Bismarck à Macron, Economica, 2019
  • François Charpentier, Article dans le JDD, dimanche 8 décembre 2019