Du rapport Lecoq à la politique de santé au travail dans la Fonction publique

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Du rapport Lecoq à la politique de santé au travail dans la Fonction publique (26-09-18)

Rédigé à la demande du Premier ministre, le rapport de la mission Lecoq-Dupuis-Forest sur « la santé au travail et le renforcement de la prévention des risques professionnels » vient de paraître.
Il doit servir de base à l’ouverture de prochaines négociations sur la santé au travail.

Bien que leur champ d’étude ait été circonscrit au secteur privé, les auteurs de la mission espèrent qu’il ouvrira la voie à une réflexion pour l’amélioration de la santé et de la qualité de vie au travail dans la Fonction publique.
La CFDT Fonctions publiques propose cette première contribution au débat.

La prévention entre légalisme et pragmatisme

Depuis son apparition dans le monde du travail, la prévention des risques professionnels oscille entre conception légaliste et réglementaire d’un côté, et approche pragmatique, au plus près des « réalités du terrain », de l’autre. Tout l’art consistant à placer le curseur au bon endroit, en fonction du contexte et des objectifs qu’on s’est fixés.

De toute évidence, le travail de la mission s’oriente vers la deuxième approche, et s’inscrit en ce-la dans l’esprit du Plan santé au travail 2016-2020 (PST3) dont l’objectif est de « remettre le travail au centre des préoccupations, et la culture de la prévention au centre de toutes les actions ». Dans cette optique, la prévention des risques professionnels n’est pas une fin en soi, mais un outil au service de la qualité de vie au travail et de l’efficacité économique.

Inciter plutôt que contraindre…

Après l’analyse du système de prévention des risques professionnels, les auteurs posent leur diagnostic : la tendance des indicateurs sur les cinquante dernières années est satisfaisante, mais les résultats plafonnent et les actions de prévention s’essoufflent. Plusieurs raisons sont avancées : la superposition et le manque de lisibilité des structures, la multiplicité des opérateurs, le décalage entre les attentes des entreprises et l’accompagnement proposé, et bien sûr la complexité de l’appareil législatif et réglementaire.

En réponse, les auteurs posent les bases de ce qu’ils appellent un système moderne de prévention des risques, qui selon eux permettrait de répondre à la fois aux attentes des entreprises et des salariés, et aux objectifs du PST3.

Ils prennent pour postulat que l’un des freins au développement de la prévention des risques est qu’elle est trop souvent perçue comme un ensemble contraignant de règles à respecter. Une réglementation trop complexe, touffue, rigide, finit paradoxalement par vider la prévention de son sens, et par la réduire à un ensemble d’obligations qu’il faut remplir, au risque d’être sanctionné.

A l’inverse, toujours selon les auteurs, l’appropriation par tous les acteurs d’une véritable culture partagée de la prévention est un vecteur puissant d’amélioration et de promotion de la santé au travail. Et cette culture ne peut s’acquérir et s’ancrer dans les esprits que si le système mis en place le permet, c’est-à-dire s’il s’appuie sur l’incitation et l’encouragement, plutôt que sur la contrainte et la sanction.

… oui, mais

La CFDT Fonctions Publiques partage cette volonté de voir la prévention des risques professionnels s’imposer « naturellement » à tous les acteurs plutôt que par la contrainte. Mais elle constate aussi que ce qui peut être objectivable pour le secteur privé (et en particulier les PME/TPE, cœur de cible de la mission) ne l’est pas forcément pour le secteur public.

Dans ce secteur, et pour plusieurs raisons (d’ordre historique, structurel, politique, etc.), la culture de la prévention n’en est qu’à ses balbutiements et l’idéal d’appropriation est loin d’être atteint. Le dialogue social en matière de santé au travail y est très récent, et encore bien timide. Rappelons les CHS n’ont fait leur apparition dans la Fonction publique d’État et dans la fonction publique territoriale qu’en 1982 (35 ans après le privé), et les CHSCT en 2011 seulement (cette fois 28 ans plus tard).

En outre, les réalités « du terrain » montrent que le recours aux organes de contrôle est par-fois l’ultime moyen de préserver la santé et la sécurité des personnels.

Les inspecteurs santé et sécurité au travail (ISST – corps d’inspection interne à la Fonction publique) exercent, outre le contrôle, une mission de conseil et de médiation, indispensable aussi bien à l’employeur qu’aux autres acteurs de la santé et sécurité au travail (préventeurs et CHSCT en particulier).

Les inspecteurs santé et sécurité au travail (ISST – corps d’inspection interne à la Fonction publique) exercent, outre le contrôle, une mission de conseil et de médiation, indispensable aussi bien à l’employeur qu’aux autres acteurs de la santé et sécurité au travail (préventeurs et CHSCT en particulier).

Loin d’être le bras armé du réglementarisme obtus, les organes de contrôle internes (ISST) et externes (inspection du travail) jouent un rôle de conseil et de garde-fou qu’on ne peut négliger, et qui font d’eux des acteurs incontournables dans la prévention des risques professionnels et la promotion de la santé au travail dans la Fonction publique.

On peut regretter d’ailleurs qu’aucun contrôleur ou inspecteur du travail n’ait été auditionné par la mission, et que ces services ne figurent même pas dans la liste, en annexe du rap-port, des structures et organismes concourant à la santé au travail.

Renforcer le portage politique de la santé au travail…

La première des 16 recommandations du rapport est de « donner davantage de visibilité nationale à la politique de santé au travail », en inscrivant dans la loi l’obligation d’élaborer le Plan santé au travail et en préconisant d’en faire un rapport régulier devant le Parlement.

Le PST intéresse l’ensemble des travailleurs… sauf ceux du secteur public, qui en sont de facto exclus. L’Etat-employeur pilote quant à lui le « Plan d’action pluriannuel pour une meilleure prise en compte de la santé et de la sécurité au travail dans la fonction publique» (dit Plan SST FP) qui s’applique aux agents des trois versants de la fonction publique.

Ces deux plans diffèrent aussi bien dans leur construction que par leur portée :

Le PST3 succède à deux autres plans, le premier datant de 2005. L’élaboration des orientations a été confiée par le ministère du travail aux partenaires sociaux. Les axes retenus résultent ainsi d’un consensus entre organisations syndicales et professionnelles. Le plan s’articule autour de 3 axes stratégiques, chacun d’entre eux décliné en 10 objectifs. Ces derniers sont structurés autour de plusieurs actions concrètes visant à leur mise en œuvre opérationnelle.

Le PST est mis en place pour une période de 5 ans, est régulièrement évalué et réorienté le cas échéant. Il est accompagné d’un plan de déclinaison dans les territoires.

Le Plan SST FP existe depuis 2017, et c’est le premier du genre. Il a été construit et rédigé par la DGAFP, en concertation avec les représentants des personnels et des employeurs des trois versants de la fonction publique. Il comporte 5 axes et 10 objectifs, accompagnés d’un calendrier ciblant les actions à mener pour les années 2017 et 2018. Les axes de ce plan sont plus ou moins déclinés dans les orientations stratégiques annuelles de chaque ministère.

… dans la Fonction publique aussi

Le PST est tout entier construit autour d’une ligne directrice (« mettre la prévention au cœur des préoccupations relatives au travail, et inscrire celui-ci dans une dynamique d’amélioration con-jointe du bien-être et de la performance »). Le plan SST FP, quant à lui, liste des actions qui ré-pondent à des préoccupations réelles, mais sans les inscrire dans un projet politique de santé au travail.

L’antériorité du PST sur le plan SST FP, les différences de construction, de conception et d’ambition entre les deux, illustrent le retard pris par la fonction publique en matière de portage politique de la santé et sécurité au travail.

La qualité du dialogue social dans la fonction publique a considérablement progressé au niveau national depuis dix ans : d’abord avec les accords sur la santé et la sécurité au travail du 20 novembre 2009, et sur l’égalité professionnelle en 2013, puis avec les discussions autour de la qualité de vie au travail en 2015, et le premier plan d’action pluriannuel en 2017.

Pour autant, il manque encore à ces actions d’être liées entre elles, et articulées autour d’un fil conducteur qui leur donne du sens. Le champ de la santé, sécurité et qualité de vie au travail est encore considéré comme un élément de gestion des ressources humaines, et n’est pas intégré à une réflexion globale sur le travail lui-même et les conditions de son exercice. L’ensemble est pourtant indissociablement lié, a fortiori à l’heure où la fonction publique est traversée par des changements culturels et organisationnels profonds (fusions et restructurations, réduction d’effectifs, vieillissement des agents, télétravail, dématérialisation des processus administratifs etc.).

Pour répondre à ces enjeux, une politique nationale de santé au travail dans la fonction publique doit s’appuyer sur un projet consensuel, conçu et construit dans le cadre d’un dialogue social de qualité, à l’instar du PST. Et bien sûr, bénéficier du même portage politique que celui-ci.

 

Rapport Lecoq versus rapport Frimat

Le rapport Frimat, paru quasiment en même temps mais resté plus confidentiel, est parfois opposé au rapport Lecoq en ce qu’il préconise le renforcement des mesures de contrôle.

Il résulte d’une commande du ministère du travail suite à la suppression du compte pénibilité de l’exposition aux agents chimiques dangereux. Un risque loin d’être marginal puisque la dernière enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques) révèle qu’en 2016 un salarié sur trois y a été exposé. Ce rapport se conclut par 23 recommandations, dont plusieurs visent à renforcer la prévention par des mesures coercitives.

Malgré cette divergence, les deux rapports ne sont pourtant pas forcément contradictoires.

D’abord parce que les deux champs d’études ne sont pas comparables : l’un est circonscrit à un risque grave et particulier, l’autre s’intéresse au système de prévention des risques professionnels dans son ensemble. Une comparaison terme à terme des conclusions n’a de ce cas pas grand sens.

Et surtout parce que ces deux rapports se rejoignent sur plusieurs points, comme la nécessité de renforcer la prévention primaire (agir sur les facteurs de risque plutôt que sur leurs effets) et d’assurer un suivi efficace des expositions professionnelles. Ils préconisent aussi tous deux de simplifier la réglementation pour faciliter son application.


Références (liens) :