Semaine de quatre jours : mirage ou avancée sociale?

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Concentrer son travail pour se libérer une journée est une promesse séduisante, mais est-ce vraiment la panacée ?

Dossier   » Semaine de quatre jours : mirage ou avancée sociale? « 
par Anne-Sophie Balle, Fabrice Dedieu et Claire Nillus

Article 1 : Un débat (encore) très patronal –  (lundi 09 octobre)
Article 2 : “Dans les fonctions publiques, c’est un sujet qui émerge”(mardi 10 octobre)
Article 3 : Le temps de travail au menu de la rentrée sociale(mercredi 11 octobre)
Article 4 : La deuxième métropole de France se lance (jeudi 12 octobre)
Article 5 : Chez Accenture, un premier bilan plutôt positif(vendredi 13 octobre)

 

Pour info : depuis peu, la DDTM 59 expérimente la semaine de 4 jours.

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Un débat (encore) très patronal

En France, la semaine de quatre jours s’entend bien souvent sans réduction du temps de travail hebdomadaire et à l’initiative des employeurs. Sur ce sujet dans l’air du temps, les discours managériaux dominent. Une bataille culturelle reste à mener pour que les organisations syndicales aient leur mot à dire.

Par Fabrice Dedieu

Des salariés plus productifs, moins souvent absents, et qui gagnent en temps libre… La semaine de quatre jours aurait de nombreuses vertus selon ses défenseurs. Et cette nouvelle organisation du travail fait des adeptes partout dans le monde. Quelques entreprises françaises ont sauté le pas et le débat fait rage sur ses bénéfices et ses inconvénients. Jusqu’à intéresser les politiques. Des sénateurs ont déposé une proposition de loi en mars 2023 afin d’organiser une réflexion sur le sujet. Et, en plein mouvement contre la réforme des retraites, Gabriel Attal, alors ministre délégué aux Comptes publics, s’est dit en faveur d’une expérimentation dans les services publics.

“Il y a une confusion. Lorsqu’on parle de la semaine de quatre jours […] ce n’est pas une réduction du temps de travail mais une réorganisation de celui-ci.”

Sarah Proust, experte associée à la Fondation Jean Jaurès.

Lorsqu’il est question des quatre jours, de quoi parle-t-on exactement ? «Il y a une confusion», souligne Sarah Proust, experte associée à la Fondation Jean Jaurès et fondatrice d’un cabinet de conseil sur le travail. «Aujourd’hui, lorsqu’on parle de la semaine de quatre jours, et contrairement à il y a quelques années, ce n’est pas une réduction du temps de travail mais une réorganisation de celui-ci. C’est ce que l’on constate dans les diverses expérimentations: une semaine de 35 heures, 36, 37 ou 39 condensées sur quatre jours au lieu de cinq.»

C’est la formule que la Belgique a retenue dans son « deal pour l’emploi », adopté au Parlement en octobre 2022. Pour autant, certains testent la réduction du temps de travail. Au Royaume-Uni, une soixantaine d’entreprises représentant 2 900 salariés ont expérimenté pendant six mois en 2022 la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail. Du côté de l’Espagne, le gouvernement promeut depuis le début de l’année une semaine à 32heures.

Des arguments managériaux

En France, ce n’est pas cette formule-là qui tiendrait la corde, selon Sarah Proust : « Quand des clients me démarchent pour un accompagnement sur la semaine de quatre jours, c’est le plus souvent sans réduction du temps de travail hebdomadaire. Pourquoi ? Le lourd et dur débat sur les 35 heures a laissé des traces », estime-t-elle. Et puis la discussion actuelle porte davantage sur les conditions dans lesquelles s’exerce le travail, avec des salariés qui plébiscitent fortement le télétravail.

“La semaine de quatre jours n’est pas une revendication des organisations syndicales, à l’origine.”

Philippe Askenazy, économiste du travail et chercheur au CNRS.

Selon l’économiste du travail et chercheur au CNRS Philippe Askenazy, qu’il s’agisse d’une réduction du temps de travail ou d’une réorganisation de la semaine, qu’importe : les arguments en faveur de la semaine de quatre jours restent les mêmes, des arguments qu’il qualifie de «managériaux» : «La semaine de quatre jours n’est pas une revendication des organisations syndicales, à l’origine. Elle est née d’une littérature managériale, à partir de cas particuliers comme Microsoft au Japon, qui l’a expérimentée en 2019», explique-t-il.

En effet, les conséquences de la semaine de quatre jours intéressent les directions : satisfaction des salariés en globalité, baisse des taux d’absentéisme… «Ce qui est vu comme la preuve que les salariés vont mieux. Ce n’est pourtant pas aussi simple que ça», souligne l’économiste.

Augmenter le temps de travail effectif

À ces arguments s’ajoutent aussi la diminution de l’empreinte carbone (moins de déplacements, bureaux moins occupés…), l’égalité femmes-hommes (éviter les mauvais effets du temps partiel, qui concerne en majorité les femmes) ou encore la productivité accrue du capital en raison de journées plus longues. Quid de la création d’emplois ? « Ce n’est pas ce qui motive les entreprises : en luttant contre l’absentéisme, les DRH visent une augmentation du temps effectif travaillé, pas une baisse. Nous sommes donc très loin de l’argument de partage du travail qui accompagnait les 35 heures. […] Avec le Covid, poursuit Philippe Askenazy, sont apparus d’autres arguments pour les entreprises : l’attractivité, se montrer moderne, socialement innovant pour attirer les salariés. » En résumé, promettre un meilleur équilibre vie professionnelle-vie personnelle… à défaut d’avoir des rémunérations attrayantes.

Du côté des salariés, si la formule avec réduction du temps de travail peut faire envie, celle sans, avec ses journées à rallonge, est plus repoussante. À l’Urssaf Picardie, la mayonnaise n’a pas pris car il existait un large panel d’options alternatives proposées aux salariés, mais aussi parce que le public visé ne se retrouvait pas dans les quatre jours (lire ci-dessous).

Chez Accenture, environ 10 % des 10 000salariés profiteraient de la semaine de quatre jours, mis en place il y a un an, là aussi sans réduction du temps de travail.

Pour autant, « les indicateurs à court terme montrent une satisfaction des salariés qui sont passés aux quatre jours, que ce soit avec ou sans réduction du temps de travail », indique Philippe Askenazy. Cependant, il est nécessaire de rappeler que l’allongement de la durée des journées n’est pas sans conséquences sur la santé des travailleurs : « La fatigue s’accroît, augmentant le risque d’accidents du travail. Ça a aussi des effets psychologiques, physiques, favorisant les maladies cardiaques ou le diabète. »

Négocier entreprise par entreprise

Autre problème soulevé : le manque de dialogue social. « Les directions ont tendance à se passer des organisations syndicales pour mettre en place les quatre jours, agissant “pour le bien des salariés”. Mais les représentants du personnel ont tout intérêt à pousser pour négocier des schémas qui proposent aux salariés des marges de manœuvre et une possibilité d’organisation à chacun », selon Philippe Askenazy.

C’est ce que pense la CFDT, pour qui la semaine de quatre jours ne peut être généralisée à toutes les entreprises et administrations. Sa mise en place doit notamment s’accompagner d’une vigilance concernant le cumul avec le télétravail, qui réduit la présence sur le lieu de travail et la longueur des journées. Et elle ne doit en aucun cas être imposée aux travailleurs. « Je pense qu’il n’y a pas deux entreprises qui ont mis en place la semaine de quatre jours selon les mêmes modalités, résumait dernièrement sur France Inter Marylise Léon, la nouvelle secrétaire générale de la CFDT. Je suis convaincue que, si c’est une aspiration des travailleurs, il faut que ça puisse être négocié entreprise par entreprise. » 

Fabrice Dedieu – Journaliste
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À l’Urssaf Picardie, penser la parentalité, un impératif

« Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu », concède, avec un peu de recul, Anne-Sophie Rousseau. Lorsque la directrice adjointe de l’Urssaf Picardie décide, à la fin 2022, de négocier la possibilité pour les 280 salariés de travailler 36 heures sur quatre jours, elle n’imagine pas que cette mesure (une première dans le service public) ne prendra pas. L’objectif poursuivi était pourtant louable : améliorer la qualité de vie au travail et en faire un « levier d’attractivité » pour compenser des salaires relativement bas.

« Lors du sondage réalisé au second semestre 2022, une quarantaine d’agents s’étaient déclarés intéressés pour expérimenter la semaine de quatre jours, se souvient Sylvie Cottel, la déléguée syndicale CFDT. Mais les formules proposées (six au total) ne convainquent pas. À titre personnel, les salariés ne s’y sont pas retrouvés », poursuit la militante. Au final, seuls trois salariés franchiront le pas de l’expérimentation, qui court depuis le 1er mars. Pourquoi si peu ? « Nous sommes passés à côté d’un sujet primordial: celui de la parentalité. Avec des journées de neuf heures sans compter les temps de trajet, vous ne pouvez plus emmener et chercher vos enfants à l’école », reconnaît la direction. Le lancement de l’expérimentation commencée en pleine année scolaire n’a sans doute pas aidé non plus…

Malgré tout, les organisations syndicales et la direction ne renoncent pas. Un nouveau sondage a été organisé avant l’été, avec plusieurs assouplissements prévus : possibilité de choisir sa journée de repos, extension du dispositif aux managers et aux cadres au forfait jours, et des journées de travail pouvant être portées à dix heures pour permettre d’avoir d’autres journées de sept heures. « Peut-être que nous n’aurons que dix salariés de plus. Notre objectif, ce n’est pas d’avoir un maximum de personnes à quatre jours, mais d’offrir une souplesse supplémentaire dans l’organisation du travail pour ceux qui le souhaitent », note Sylvie. Cette deuxième phase d’expérimentation pourrait débuter le 1er octobre. En revanche, il n’est pas question pour l’Urssaf Picardie de passer aux 32 heures. Sans baisse de temps de travail, dans bien des endroits, la semaine de quatre jours se révèle donc une équation compliquée.

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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo
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