Retraites : Le ministre Guérini se plante dans sa propagande !

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Pour faire la « réclame » de sa réforme des retraites injuste, brutale et inutile, le ministre de la Fonction Publique, Stanislas Guérini a envoyé une vidéo à tous les agents publics via leur adresse mail personnelle. Cette adresse personnelle – donc privée – que les agents mettent à disposition de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) pour leur déclaration d’impôts, et non de leur adresse professionnelle.

Il semble ici que le ministre ait procédé à une violation du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) en envoyant son message de propagande politique, ce que de nombreux agents dénoncent en déposant plainte (1500 au 31 janvier), notamment auprès de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés).

Le média Acteurs Publics a publié un article (reproduit ci-dessous), sous la plume de Emile Marzolf, qui revient en détail sur cette « affaire Guérini ».
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Le courriel de Stanislas Guerini sur les retraites est-il “hors des clous” ?

Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques est-il allé trop loin en envoyant à l’ensemble des agents publics un mail contenant une vidéo pour défendre la réforme des retraites ? Selon plusieurs juristes interrogés par Acteurs publics, il semblerait que oui.


Aperçu de la vidéo envoyée jeudi 26 janvier aux agents publics par Stanislas Guerini.

Il nous faut travailler plus longtemps pour préserver notre modèle de retraites par répartition. Ce modèle est aujourd’hui fragilisé car déficitaire, c’est une réalité qui justifie le fait que nous devions faire cette réforme des retraites.” Ainsi débute le discours de Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, dans la fameuse vidéo envoyée par la direction générale des finances publiques (DGFIP) par courriel à l’ensemble des agents publics jeudi 26 janvier, parfois sur leur adresse professionnelle, d’autres fois sur leur adresse personnelle, et même à certains d’entre eux ayant quitté le secteur public depuis plusieurs mois, voire années. Le soir-même, plusieurs agents publics se sont étonnés du procédé sur les réseaux sociaux.

Le lendemain matin, la grogne se répand sur Twitter parmi les agents. Les syndicats leur emboîtent rapidement le pas pour dénoncer l“utilisation des adresses personnelles fournies à l’administration” pour de la “propagande politique”.

Dans la foulée, le gendarme des données personnelles, la Cnil, annonce “procéder à des vérifications” à la suite de nombreux dépôts de plaintes – près de 1 500 au 31 janvier. Depuis lors, des ministres, à commencer par Stanislas Guerini lui-même, s’évertuent sur les plateaux TV à éteindre l’incendie. Mais qu’en est-il vraiment ? Le ministre est-il allé trop loin et a-t-il violé le RGPD pour défendre une réforme contestée ?
Pour trancher, il faut d’abord répondre à plusieurs questions. Quel fichier a été utilisé pour envoyer ce message ? Le ministre pouvait-il l’utiliser ? Le message était-il à caractère informatif ou politique ? Et surtout, l’envoi d’un tel message à partir de ce fichier était-il prévu dans les finalités initiales fixées par décret, et auxquelles les agents ont consenti en renseignant leur adresse ?

Un envoi à partir du fichier de l’Ensap

Sollicité par Acteurs publics, le cabinet du ministre reconnaît avoir souhaité “adresser un message vidéo à l’ensemble des agents de la fonction publique d’État sur la réforme des retraites et les mesures les concernant”, en utilisant un fichier géré par la DGFIP pour son “espace numérique sécurisé de l’agent public” (Ensap). Ce qui explique qu’elle en soit l’émettrice. “L’envoi a donc bien été assuré par la DGFIP, comme elle a l’habitude de le faire”, ajoute le cabinet mais, se défend-il, “aucune transmission de fichier de contacts n’a été faite entre la DGFIP et le MTFP”.

Le cabinet renvoie au décret d’encadrement des usages des données personnelles par l’Ensap, plate-forme qui permet aux agents de retrouver leurs bulletins de paye et de pensions et d’échanger via une messagerie avec les gestionnaires de l’administration. Pour le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, le fichier constituait probablement le meilleur moyen de toucher d’un seul coup l’ensemble des agents et anciens agents publics. Le cabinet invoque également les conditions générales d’utilisation de l’Ensap. “En acceptant les présentes conditions générales d’utilisation vous acceptez d’être contacté-e via l’adresse de messagerie collectée lors de votre création de compte, pour tous contacts nécessaires à nos échanges”, précisent ces CGU.

La question de la base légale

Ces explications ne convainquent toutefois pas les juristes contactés par Acteurs publics. “Le fait que le ministère se dédouane sur la DGFIP en disant qu’elle n’a pas eu accès au fichier illustre une méconnaissance du RGPD”, relève Emmanuel Netter, professeur de droit privé à l’université d’Avignon. Pour ce spécialiste du droit du numérique, cette histoire de courriel rappelle un autre épisode. En 2018, Laurent Wauquiez se fait prendre à détourner une base de numéros de téléphone de lycéens pour leur souhaiter une bonne rentrée par SMS, alors que cette base ne pouvait servir qu’à les informer sur les incidents relatifs aux transports scolaires. “À l’époque, la Cnil n’avait semble-t-il pas trouvé grand chose à redire, mais la situation n’a pas grand chose à voir avec l’affaire de Guerini”, fait observer le juriste.

Pour Suzanne Vergnolle, maître de conférences en droit du numérique au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), le problème tient déjà à la base légale du traitement de données et à son responsable. “Cela pourrait peut-être tenir si l’envoi avait été à l’initiative de Bruno Le Maire, qui est le ministre de tutelle de la DGFIP”, explique la juriste, qui ajoute : “Quand on choisit de renseigner son adresse personnelle dans l’Ensap, on le fait souvent pour une raison : retrouver plus tard l’ensemble de ses bulletins de paye, et non pour recevoir des messages politiques.” D’ailleurs, dans les paramètres de leur espace, une seule option d’envoi peut être cochée ou décochée par les agents : “Notification courriel à la réception d’un nouveau bulletin”.

Interprétation extensive des finalités

Pour défendre sa démarche, le ministère rappelle également un précédent : lorsqu’Amélie de Montchalin avait envoyé, en novembre 2021, aux agents publics un courriel pour les informer des changements apportés par la réforme de la protection sociale complémentaire. Là encore, l’analogie ne convainc pas les juristes consultés. “Dans le cas d’Amélie de Montchalin, il s’agissait d’une réforme adoptée, et donc d’un message informatif, avant l’entrée en application de nouvelles mesures, alors que dans le cas de Stanislas Guerini, il s’agit plutôt de véhiculer un message politique aux agents, pour qu’ils acceptent la réforme et évitent de faire la grève”, souligne Suzanne Vergnolle.

D’autant que le courriel du ministre a été envoyé à quelques jours seulement de la deuxième journée de mobilisation syndicale, le 31 janvier. Même lecture du côté d’Emmanuel Netter : “La finalité d’un fichier peut s’interpréter de manière souple et extensive, pour permettre au RGPD de résister à l’épreuve du temps et de l’évolution des technologies, d’autant plus qu’il est difficile de prévoir, dans la rédaction d’un décret, l’ensemble des finalités possibles. Sauf qu’en l’occurrence, il ne s’agit vraiment pas d’un message à caractère informatif en matière de paye et de pensions, mais visant à convaincre du bien-fondé d’une décision politique et d’une réforme purement hypothétique à ce stade”.


Capture d’écran du mail envoyé aux agents par la ministre Amélie de Montchalin via la DGFIP et le fichier de l’Ensap, en nov. 2021.

Stanislas Guerini s’expose-t-il pour autant à une quelconque sanction de la part de la Cnil ? “C’est la question à 1 000 euros”, répond Thibault Douville, professeur à l’université de Caen Normandie. “Étant donné que la nature du message est difficile à analyser (promotionnel ou informatif) et que de sa nature dépend la conformité du traitement, cela ne va pas être simple” de se prononcer pour l’autorité indépendante.

Pour Emmanuel Netter, le caractère politique du message ne fait aucun doute, mais ce n’est pas pour autant que le ministère sera sanctionné. Au mieux l’autorité froncera-t-elle les sourcils. Mais le ministère ne risque probablement rien, aucune amende ne pouvant être prononcée à l’encontre d’une administration. D’autant que, comme le souligne Suzanne Vergnolle, le préjudice subi par les agents n’est pas immense à l’échelle individuelle ni facile à caractériser.

Par Emile Marzolf

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