Retraite : Laurent Berger appelle Emmanuel Macron à faire preuve de « sagesse »

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Dans un entretien avec le quotidien La Dépêche du Midi, Laurent Berger appelle le chef de l’État à faire preuve de sagesse. Vous trouverez ci-dessous cet entretien, et en lien vers le site du journal.

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ENTRETIEN. Réforme des retraites : Laurent Berger appelle Emmanuel Macron à faire preuve de « sagesse »

La Dépêche du Midi  –  Manuel Cudel  – 06-05-23

Entretien avec Laurent Berger, à la tête de la CFDT, le premier syndicat français. L’homme clé du bras de fer engagé avec le gouvernement sur la réforme des retraites a mis fin, ce mercredi 5 avril, à la rencontre organisée par la Première ministre Élisabeth Borne. Il s’exprime avant la onzième journée de mobilisation ce jeudi 6 avril 2023.

Vous avez mis fin ce mercredi à la rencontre entre l’intersyndicale et la Première ministre Élisabeth Borne en vous levant pour quitter la salle après un peu moins d’une heure d’échanges. C’était une réunion pour rien ?

C’était la première réunion depuis le début de la mobilisation très forte contre la réforme des retraites, le 19 janvier, ce n’est jamais pour rien quand on essaie de se parler, ce n’est pas inutile. Mais cela n’a rien produit, ça c’est sûr. C’était un dialogue de sourd.

On a redit notre opposition à la réforme des retraites, mais surtout on a essayé de faire prendre conscience de la situation sociale et démocratique du pays.

Après la présentation de la Première ministre, à l’issue du tour de table, Elisabeth Borne a réaffirmé qu’elle était ouverte au dialogue sur tout un tas de sujet, mais on lui a dit que c’est le sujet des retraites qui nous intéressait. On voulait savoir si elle allait retirer la réforme. La réponse a été non. La réunion s’est terminée.

Élisabeth Borne vous a-t-elle fait des propositions concrètes ?

Non, même sur les sujets dont il était question, il n’y a pas de propositions concrètes. Elle propose d’ouvrir des chantiers. Mais il y en a un qui n’est pas terminé, c’est celui des retraites…

Je pense aussi que cette réunion arrive très tardivement, plusieurs propositions ont été faites (médiation, suspension de la réforme) et n’ont pas été saisies et je trouve aberrant qu’on n’ait pas pu se parler plus tôt avec le gouvernement.

Accepterez-vous le principe d’une nouvelle rencontre ?

Oui, nous sommes dans une grave crise démocratique, je ne serai jamais de ceux qui considéreraient que voir la Première ministre n’est pas important. Aucune organisation n’a dit d’ailleurs que sur les sujets du travail, des salaires, des seniors, on ne voulait pas venir discuter. On a dit qu’on voulait avoir une réponse sur la réforme des retraites. Et on ne l’a pas, malgré la colère qui gronde aujourd’hui.

Emmanuel Macron serait prêt à rencontrer les syndicats, selon son entourage, il s’était dit à disposition de l’intersyndicale (*) Accepteriez-vous le principe d’une rencontre ?

Oui, s’il faut le rencontrer, je le ferai, en toute transparence, nous l’avions d’ailleurs demandé. Je pense qu’il n’est pas inutile qu’il rencontre l’intersyndicale et notamment ses nouveaux leaders. Mais la question qui nous intéresse, c’est ce qu’on fait de la réforme des retraites.

Vous êtes tous sur cette position au sein de l’intersyndicale, celle de la poursuite du dialogue avec l’exécutif ?

L’intersyndicale est contre les 64 ans. Elle n’est pas là pour dicter la position de chaque syndicat. Je ne demanderai pas l’autorisation de l’intersyndicale d’aller rencontrer tel ou tel, j’irai voir qui je veux. Si des rencontres sont organisées, je les en informerai.

Si Emmanuel Macron est prêt à rencontrer les organisations syndicales, c’est très bien, la CFDT ira, mais il ne faut pas qu’il rencontre un responsable syndical, mais tous les responsables des organisations.

Et la question ne se pose pas à l’heure qu’il est, pour l’instant il n’y a pas de proposition de rencontre. Si le président de la République veut me parler, il sait comment me trouver, il a mon numéro de téléphone.

Beaucoup misent sur vous, au sein de la majorité, pour trouver une issue. Pouvez-vous être l’homme de la sortie de crise ?

J’ai proposé une issue, nommer une médiation, mettre en suspens les 64 ans et on se donne six mois pour discuter du travail, de l’emploi et des retraites en profondeur, pas en collant des petits morceaux. C’est ça la solution.

Si leur solution à un moment donné c’est que la CFDT sorte de l’intersyndicale alors que ce projet de loi est toujours sur la table, la réponse est non.

Dans quel état d’esprit abordez-vous cette onzième journée de mobilisation, ce jeudi ?

Il faut qu’il y ait ce jeudi le maximum de personnes dans la rue pour faire comprendre que le mécontentement social est toujours présent. C’est important, il y a eu des chiffres de mobilisation différents selon les journées, mais ils sont à chaque fois très élevés même dans des endroits où il y avait peu l’habitude de manifester.

La Première ministre nous a dit ce matin (mercredi 5 avril) que le texte poursuivait son chemin jusqu’au Conseil constitutionnel. Eh bien nous, on poursuit notre mobilisation.

Vous la poursuivez également jusqu’au rendu de la décision du Conseil constitutionnel, le 14 avril ?

On verra, on décidera ensemble, comme d’habitude, demain soir (jeudi 6 avril) dans une intersyndicale.

Il y aura une nouvelle journée d’action au-delà de jeudi ?

On décidera demain…

Poursuivrez-vous cette mobilisation, si le texte est validé par le Conseil constitutionnel ?

Si le texte est validé dans son entièreté par le Conseil constitutionnel, cela lui donnera une légalité, pas une reconnaissance d’un progrès social par la population des travailleurs. Cela créera un ressentiment profond dans le monde du travail.

On avisera donc ensemble ce qu’on fera à ce moment-là. On ne pourra pas être inactifs, mais on verra les modalités d’action en fonction des nouvelles réalités.

Craignez-vous un pourrissement, un essoufflement ?

Oui, je le crains car c’est ce qu’espère le gouvernement. Mais on voit bien dans les enquêtes d’opinion à qui profite cette crise sociale et démocratique.

On va se parler clair : ceux qui portent la responsabilité du pourrissement de la situation et de la montée du Rassemblement national – qui n’en a rien à faire des travailleurs et encore moins de notre modèle social -, par cette attitude de blocage, par le fait de ne pas reconnaître le malaise social, la contestation, la crise démocratique, c’est la majorité et le gouvernement.

Est-ce que les violences, de part et d autre, vous inquiètent ?

Oui, la CFDT condamnera toute forme de violence, il n’y a aucune cause qui justifie de s’en prendre à des biens ou à des personnes. De la même manière, oui, je suis inquiet parfois, quand on voit sur certaines images un usage de la force qui paraît disproportionné dans certaines occasions.

Pour mettre fin à cette situation, il est grand temps de trouver une voie de sortie et d’apaisement.

Mais est-ce qu’il vous reste des marges de manœuvre, aujourd’hui ? On voit bien que la pression de la rue ne suffit pas à faire plier le gouvernement…

J’en appelle à la sagesse des membres du Conseil constitutionnel, il faut juger en droit, c’est important, et en opportunité, celle de maintenir une cohésion sociale dans notre pays et apaiser.

Et il reste aussi la possibilité, jusqu’au Conseil constitutionnel, de faire entendre la voix pacifique des travailleurs et des travailleuses.

Qu’est-ce qui peut faire la différence dans ce type de bras de fer ? Les mesures de blocages ?

Une prise de conscience de ce qu’on est en train de vivre par des responsables politiques, il faut écouter aussi ce que disent les élus locaux sur l’ambiance, aujourd’hui, dans le pays, il faut écouter ce que disent des intellectuels dans le débat public qui prennent des positions de plus en plus fortes contre cette réforme des retraites.

Peut-être que la seule voie, c’est la sagesse, finalement. C’est peut-être au président de la République d’en faire preuve…

Le référendum d’initiative partagée peut-il changer la donne, selon vous ?

Il donnerait l’opportunité de montrer qu’il y a une majorité de citoyens dans ce pays qui ne veulent pas du recul de l’âge de 62 à 64 ans, mais c’est au Conseil constitutionnel de se positionner.

Sophie Binet a succédé à Philippe Martinez à la tête de la CGT, fait-elle entendre une voie différente au sein de l’intersyndicale ?

Pour l’instant, non, elle fait entendre la voix de la CGT qui choisit le ou la responsable qu’elle souhaite. On s’est parlé avec Sophie Binet, ce qui nous unit dans ce combat, ce sont les 64 ans, on sait aussi ce sur quoi on n’est pas forcément en phase, ça a toujours été comme ça aussi avec Philippe Martinez, ce sera comme ça avec Sophie Binet.

Comment analysez-vous le revers subi par Philippe Martinez, désavoué pendant le congrès de la CGT ?

Je n’ai pas de commentaire à faire sur le congrès des autres organisations syndicales.

Mais est-ce que l’arrivée de Sophie Binet peut faire bouger les lignes au sein de l’intersyndicale ?

Pour le coup, vous le voyez, ce n’est pas le cas. La CFDT continuera d’exercer ses responsabilités au sein de l’intersyndicale et sera extrêmement claire, il faut respecter les différences qui sont les nôtres et les divergences et poursuivre l’objectif commun : non aux 64 ans.

Il faut décider ensemble des modalités d’action et pas que certains décident pour d’autres.

Quel message souhaitez-vous adresser aujourd’hui à Emmanuel Macron et Élisabeth Borne ?

Un appel à la sagesse, tout le monde voit bien la situation de blocage, tout cela profite malheureusement au Rassemblement national, tapi dans l’ombre. Il faut se ressaisir et faire jouer le champ de la démocratie sociale, dont la Première ministre a dit ce matin qu’elle y était attachée, ce que je crois.

Cela veut dire qu’il faut mettre sur pause et mettre en place les conditions d’une médiation et ensuite une grande conférence sociale sur le travail et les retraites pour trouver les voies de l’amélioration de la situation pour les travailleurs. Et ne pas partir sur une réforme punitive des 64 ans, pour nous amener ensuite les autres sujets comme une compensation.

Mais il y a des millions de personnes dans la rue, il y a 90% des actifs, 70% de la population qui sont contre les 64 ans, rien ne nous fera revenir en arrière. Parce que c’est la mesure la plus injuste et elle va impacter durablement, fortement les travailleurs, notamment les plus modestes. tant que cette mesure sera prévue et qu’elle impactera autant les travailleurs, on sera en opposition.

Cette crise laissera-t-elle des traces dans la société française ?

Oui, je crains que ça laisse du ressentiment de mépris et de la colère. Et malheureusement, je crains que cela resurgisse d’une manière ou d’une autre et potentiellement dans les urnes.

(*) Lors de son intervention télévisée le 24 mars. Mais le chef de l’État ne souhaite pas évoquer la question de la réforme des retraites avant la décision du Conseil constitutionnel, attendue le 14 avril.

Manuel Cudel

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Le lien vers l’article original sur le site de la Dépêche du Midi

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