“Nous devons maintenir un rapport de force avec le pouvoir exécutif”

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À la veille de la douzième journée de mobilisation, et en attendant l’avis du Conseil constitutionnel, la mobilisation contre la réforme des retraites reste massive. Secrétaire national chargé de ce dossier brûlant, Yvan Ricordeau revient sur la stratégie de la CFDT dans la période.

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Pourquoi avoir décidé d’une nouvelle mobilisation, la douzième, le jeudi 13 avril. N’existe-t-il pas un risque d’essoufflement ?

Certes, il y a eu un peu moins de monde lors des dernières manifestations, mais le nombre de personnes mobilisées reste encore très élevé après plus de trois mois de mobilisation. Cette affluence montre à quel point cette réforme est rejetée par la population. Elle valide aussi la stratégie de l’intersyndicale, qui a été de proposer des mobilisations régulières permettant à tous les Français d’y participer selon leurs possibilités. On sait pertinemment que le monde du travail dans son ensemble n’était pas disposé à faire une grève reconductible ou à bloquer le pays.

La mobilisation du 13 avril s’inscrit dans cette stratégie. Il s’agit d’exprimer une nouvelle fois le rejet de cette réforme et de maintenir un rapport de force avec l’exécutif. Rien n’est joué. La loi n’est pas encore promulguée, et il faudra ensuite peser dans la rédaction des décrets. Nous nous inscrivons dans le temps long. Et pour couper court à toute polémique, j’insiste sur le fait que cette manifestation n’a pas pour objectif de faire pression sur les juges du Conseil constitutionnel. C’est bien un message qui s’adresse au président de la République et au gouvernement.

Justement, l’intersyndicale a rencontré la Première ministre la semaine dernière. Est-ce une reprise du dialogue ? Un signe d’ouverture ? Quelle signification donner à cet entretien qui n’aura duré qu’une heure ?

Vu le contexte et le timing (la veille de la onzième mobilisation), nous n’attendions pas beaucoup de cette rencontre… nous n’avons donc été ni déçus ni surpris. Élisabeth Borne a une nouvelle fois refusé de saisir les perches que nous lui tendons depuis plusieurs semaines. La CFDT a pourtant plusieurs fois cherché à débloquer la situation. Quand Laurent Berger a proposé de faire une pause, de rediscuter de cette réforme ou encore de nommer un médiateur, il s’agissait à chaque fois de signes d’ouverture pour sortir par le haut du conflit. Malheureusement, l’exécutif a jusqu’à présent toujours balayé ces propositions. À aucun moment il n’a fait mine de vouloir dialoguer et trouver un terrain d’entente. L’entretien n’a duré qu’une heure car, quand la Première ministre a répondu qu’il n’était pas question de revenir sur les 64 ans, l’intersyndicale a mis fin à la réunion.

Pour séduire les organisations syndicales et renouer le dialogue, le gouvernement promet de nouvelles discussions sur la pénibilité, l’emploi de senior ou l’organisation du travail. Une loi serait même en préparation. Comment va se positionner la CFDT ?

Nous ne sommes pas naïfs quant aux intentions de l’exécutif. Il est évident que tous ces sujets auraient dû être abordés en amont de la réforme des retraites. Ce gouvernement a mis la charrue avant les bœufs, et ses membres le savent très bien. Cependant, la CFDT ne pratiquera pas la politique de la chaise vide ; ce n’est pas dans son ADN. En temps voulu, nous irons discuter et défendre notre vision du travail puis arracher des avancées pour les salariés. Mais ce temps n’est pas encore venu, et la séquence retraites laissera des traces… Nous sommes encore mobilisés sur la réforme des retraites, et il n’est pas question de passer à autre chose à court terme.

La situation semble figée dans l’attente de l’avis du Conseil constitutionnel…

Les juges ont annoncé qu’ils rendraient leur avis sur la réforme le vendredi 14 avril en fin d’après-midi. Plusieurs scénarios sont sur la table. Les neufs « sages » peuvent rejeter la totalité de la réforme. Dans ce cas, le gouvernement devrait repartir de zéro. Ils peuvent également – et c’est le plus probable – ne déclarer anticonstitutionnelles qu’une partie des mesures. Dans ce cas, c’est tout l’équilibre de la réforme qui risque d’être remis en question. Le risque, c’est que les maigres avancées arrachées lors de la concertation passent à la trappe et que seules les mesures les plus dures restent. L’avis du Conseil peut donc rebattre les cartes de multiples manières. C’est pourquoi l’intersyndicale a décidé de se réunir une fois que son avis sera connu afin d’envisager les suites du mouvement. On peut dire qu’on va passer à une nouvelle étape de la mobilisation.

Quoi qu’il en soit, la CFDT respectera la décision des juges. Nous ne remettons pas en cause cette institution qui est au cœur de notre démocratie. Il faudra tenir compte de son avis, même si, pour la CFDT, cela ne change rien sur le fond : cette réforme reste profondément injuste.

Le Conseil constitutionnel doit aussi se prononcer sur la possibilité ou non de passer par un référendum d’initiative partagée, le fameux RIP, pour voter une loi qui maintiendrait l’âge légal de départ à 62 ans. Son avis devrait être connu le 14 avril. Pour la CFDT, le RIP peut-il être une solution permettant de sortir de cette crise ?

Bien sûr, le RIP peut devenir un outil de sortie de crise. Si les juges le valident, ce serait un nouvel argument en faveur d’une pause dans la réforme car il paraît difficile d’articuler le temps du RIP et le temps de la réforme telle que nous la connaissons aujourd’hui. De plus, le RIP serait une formidable opportunité d’aller à la rencontre des Français. Nous aurions en effet neuf mois pour recueillir la signature d’environ 4,8 millions de personnes. Un tel défi n’a jamais été relevé en France, mais pourrait l’être sur un sujet comme celui des retraites. Une chose est certaine : après trois mois de mobilisation, les Français continuent de soutenir dans leur très grande majorité la position des organisations syndicales. C’est une belle récompense pour les corps intermédiaires, particulièrement maltraités ces dernières années.

Par Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo
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